Ce que devra faire un gouvernement non démissionnaire sur la pauvreté !
Le gouvernement démissionnaire a démissionné de la lutte contre la pauvreté depuis longtemps. Sa stratégie principale depuis 2017, de facto sa seule stratégie, a été l’insertion par l’emploi. D’autres volets ont été évoqués comme la solidarité à la source, c’est-à-dire le versement automatique des prestations sociales, sans que cela se traduise par des mesures concrètes.
Or la stratégie de lutte contre la pauvreté par l’emploi est un échec prévisible. L’emploi a augmenté – le taux d’emploi de la population d’âge actif est passé de 65,5 % en 2017 à 68,1 % en 2022 – et le taux de chômage a baissé. Mais le taux de pauvreté a également crû dans cette période : de 13,8 % en 2017 à 14,4 % en 2022.
Ceci était prévisible dans la mesure où la politique de l’emploi s’est appuyée sur la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs (salariés, chômeurs ou bénéficiaires de l’assistance) avec la réforme du Code du travail, celle de l’assurance chômage, ou encore la loi pour le plein-emploi conditionnant le RSA à 15 heures d’activité.
Ce choix délibéré de l’emploi à tout prix, mais surtout d’emplois à bas coût1, débouche, là encore sans surprise, sur une augmentation des inégalités et donc de la pauvreté, malgré la baisse du chômage et de l’emploi précaire, pour partie réelle. Entre 2020 et 2022, la hausse de la pauvreté concerne toutes les catégories (chômeurs, actifs en emploi, inactifs, enfants).
Moins de chômage et plus de pauvreté
Cette évolution n’est pas étonnante dans la mesure où, en comparaison internationale, le lien entre inégalités et pauvreté d’une part, emploi et chômage de l’autre, est faible. Les Etats-Unis, par exemple, cumulent faible chômage et fortes inégalités ; historiquement la France alliait chômage élevé et inégalités relativement faibles. Au milieu des années 2000, l’Allemagne a vu le chômage fortement baisser… et les inégalités et la pauvreté croître2.
Eric Heyer concluait en 2012, au sujet des réformes du marché du travail (lois Hartz) :
« Il existe donc bien une face cachée des réformes menées en Allemagne depuis plus de dix ans qui ont conduit vers moins de chômage mais plus de pauvreté. »
La France semble avoir pris avec retard une voie similaire avec des conséquences identiques en termes de pauvreté et il n’est pas dit que les autres aspects de la « réussite » allemande aient pu être répliqués.
Que devrait faire un gouvernement non démissionnaire ? Prendre au sérieux l’objectif de lutte contre la pauvreté. La pauvreté est définie par le manque de ressources ; elle est causée par le manque d’accès aux ressources (puisque la pauvreté n’est pas volontaire). Ce combat doit s’appuyer sur trois piliers, permettant d’augmenter l’accès aux ressources : redistribution monétaire, marché du travail et services publics.
Revaloriser le RSA
Dans une économie de marché, une lutte efficace contre la pauvreté s’appuie en premier lieu sur la redistribution monétaire. Il est ainsi primordial de donner des ressources monétaires aux pauvres afin de lutter contre le cercle vicieux de la pauvreté3.
Pour lutter contre la trappe à pauvreté, qui est la pauvreté elle-même, il faut donc revaloriser le RSA jusqu’à un niveau décent
Parler de politique préventive plutôt que curative est la tarte à la crème du discours politique4. Mais si vous allez chez le médecin avec une fièvre, ce n’est pas (que) pour chercher des conseils préventifs. Le paracétamol fait baisser la fièvre. Il s’attaque certes au symptôme, mais le symptôme peut vous tuer, ce qui n’est pas la meilleure voie vers la guérison.
De même que faire baisser la température participe à la guérison, accorder des ressources aux pauvres leur permet de faire les investissements nécessaires pour s’en sortir. Pour lutter contre la trappe à pauvreté, qui est la pauvreté elle-même, il faut donc revaloriser le RSA jusqu’à un niveau décent – et l’indexer sur les niveaux de vie – et ouvrir l’éligibilité aux 18-25 ans ayant décohabité.
Redonner du pouvoir aux travailleurs
Une stratégie sérieuse de lutte contre les inégalités et la pauvreté doit redonner du pouvoir de négociation aux plus faibles en revenant sur les aspects les plus délétères des lois travail, plein-emploi, ainsi que sur la réforme de l’assurance chômage.
Si l’idée est de s’attaquer aux causes profondes des inégalités, on peut convenir que s’attaquer au seul chômage est un peu court
La protection de l’emploi, l’assurance font partie d’un ensemble de mesures de redistribution dites efficaces. Avec les bonnes régulations, il est possible de donner du pouvoir aux travailleurs de façon à la fois à réduire les inégalités et augmenter l’efficacité économique en améliorant les appariements sur le marché du travail ou en s’assurant que les employés s’investissent dans leur emploi.
Donner du pouvoir aux travailleurs, c’est aussi renforcer le droit au passage au temps plein pour les salariés précaires, redéfinir par la régulation les conditions de travail notamment dans le secteur de la propreté, de l’hôtellerie-restauration, des services à la personne, de sorte à réduire le temps de travail incomplet contraint et les maladies professionnelles.
Enfin, si l’idée est de s’attaquer aux causes profondes des inégalités, on peut convenir que s’attaquer au seul chômage est un peu court. Pour paraphraser un ancien Premier ministre, l’emploi ne peut pas tout.
Les marxistes pointeront la propriété privée comme cause initiale des inégalités mais si la logique est de sauver le capitalisme de lui-même, il faut se souvenir que les services publics (éducation, santé, logement, transports) sont la richesse des dépossédés.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/guillaume-allegre/devra-faire-un-gouvernement-non-demissionnaire-pauvrete/00112237