L’ajustement des règles d’assurance chômage en fonction de la conjoncture revient dans le débat
Faire en sorte d’avoir une "assurance chômage plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus [et] plus généreuse quand le chômage est élevé". Telle est la proposition du candidat Emmanuel Macron. Ce principe d’ajustement automatique des règles d’assurance chômage en fonction de la conjoncture n’est pas nouveau, puisqu’il avait été proposé sans succès par le patronat en 2014, avant de revenir dans le débat, début 2021, via une note du CAE (Conseil d'analyse économique). Une telle évolution pourrait aboutir à un nouvel affaiblissement du paritarisme de négociation dans l’assurance chômage.
Une "assurance chômage plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus [et] plus généreuse quand le chômage est élevé". Telle est la proposition du candidat Emmanuel Macron, figurant dans son document programmatique diffusé le 17 mars 2022, après sa conférence de presse. À cette occasion, l’actuel président de la République précisait vouloir "[continuer] les réformes de l’assurance chômage pour l’adapter à la conjoncture, avec un système simple : à chaque fois que la conjoncture s’améliore, on doit avoir des règles qui incitent encore davantage au retour à l’emploi et à chaque fois que la conjoncture se dégrade, pouvoir être mieux protégé" (lire sur AEF info).
Depuis 2017, les réformes de l’assurance chômage ont été nombreuses mais la mise en application n’a pas été sans heurts. Hormis la réforme du financement avec la suppression des cotisations salariales remplacées par une part de la CSG Activité, les dispositions ont soit mis beaucoup de temps à se mettre en œuvre compte tenu des contentieux menés devant le Conseil d’État ou des effets de la crise sanitaire — notamment pour les modalités de calcul de l’indemnisation —, soit eu du mal à atteindre leurs cibles — notamment pour les mesures à vocation universelle en direction des indépendants ou des démissionnaires — (lire sur AEF info). Quoi qu’il en soit, le candidat, Emmanuel Macron, annonce d’ores et déjà, une nouvelle réforme plus structurelle de l’assurance chômage, s’il est réélu pour un second mandat à l’Élysée.
UNE PROPOSITION PATRONALE DE 2014
La perspective d’une assurance chômage dont les règles s’adapteraient automatiquement à la conjoncture économique n’est pas nouvelle. Lors de la négociation de la convention de 2014, la délégation patronale avait proposé de mettre en œuvre une telle automaticité. "Les droits et la durée d’indemnisation s’adaptent en fonction du niveau de chômage afin de mieux sécuriser les personnes dans les périodes de chômage", proposait ainsi la délégation patronale dans un projet de texte datant de fin février 2014 (lire sur AEF info). En pratique, alors que l’assurance chômage était encore régie à l’époque par le principe d'"un jour cotisé égal un jour indemnisé", il était préconisé de faire varier ce ratio jours cotisés/jours indemnisés en fonction du taux de chômage observé sur deux trimestres consécutifs.
Par exemple, avec un taux de chômage inférieur à 9 %, il était proposé 0,8 jour indemnisé pour 1 jour cotisé. "Le régime est aveugle à la conjoncture : les demandeurs d’emploi ont les mêmes droits quelle que soit la conjoncture, et donc quelle que soit la difficulté réelle à retrouver un emploi", expliquait à l’époque, Jean-François Pilliard, le chef de file (Medef) de la délégation patronale.
Cette proposition avait fait l’objet d’un rejet unanime des organisations syndicales. Outre l’argument selon lequel il y aurait un risque d’instabilité réglementaire et d’un nouveau phénomène de "recalculés", les représentants syndicaux y voyaient la fin du paritarisme de négociation dans l’assurance chômage. "Qu’est-ce que l’on fait tous les deux ans ? On n’est pas aveugle, on adapte le régime à la situation. Mettre en place un système automatique en fonction du taux de chômage est extrêmement grave. Quelque part, cela consiste à dire que les partenaires sociaux ne font pas leur boulot", expliquait le représentant de Force ouvrière de l’époque, Stéphane Lardy. Le sujet a alors disparu aussi rapidement qu’il était apparu et les organisations patronales n’ont plus remis depuis cette proposition sur la table des négociations.
RETOUR DANS LE DÉBAT EN 2021
Cette forme de pilotage automatique de l’assurance chômage en fonction de la conjoncture économique est revenue dans le débat, près de sept ans plus tard, avec la publication début 2021 d’une note du CAE rédigée par Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et Camille Landais. Les trois économistes préconisaient alors au gouvernement d'"instituer un pilotage de long terme des dépenses d’assurance chômage prévoyant un ajustement de l’indemnisation chômage [conditions d’éligibilité et durée d’indemnisation] en fonction d’indicateurs de l’activité économique afin de renforcer la contra-cyclicité de la dépense et de garantir la viabilité financière du régime" (lire sur AEF info).
"Cela peut être une bonne idée dont il faut que l’on discute avec les partenaires sociaux pour avoir des règles plus protectrices quand la situation du marché du travail est plus difficile", avait réagi la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Élisabeth Borne (lire sur AEF info). Si la concertation annoncée sur la gouvernance de l’assurance chômage ne s'est finalement traduite que par quelques bilatérales et n’a pu permettre d’aborder sur le fond une telle réforme, on retrouve trace de cette conditionnalité liée à la conjoncture économique avec les indicateurs de "retour à meilleure fortune" ayant été définis par l'État pour l’entrée en vigueur au 1er décembre dernier des nouvelles mesures d’éligibilité à l’assurance chômage et de la dégressivité des allocations (lire sur AEF info).
ÉPINEUSE QUESTION DES INDICATEURS
Lier une évolution des règles d’assurance chômage à la conjoncture pose la question centrale des indicateurs à même de caractériser la situation économique et sociale. Dernièrement, la clause de "retour à meilleure fortune" susmentionnée alliait un indicateur de stock – les DEFM de catégorie A — et un indicateur de flux – les DPAE de plus d’un mois —, les deux étant pris en compte sur des périodes plus ou moins longues.
Dans son programme, le candidat Emmanuel Macron mentionne aussi les emplois non pourvus, une donnée particulièrement complexe à quantifier. Ou à l’instar de ce qui avait été avancé en 2014 par les organisations patronales, le taux de chômage pourrait aussi faire office d’indicateur comme c’est le cas aux États-Unis – qui ont aussi servi de référence pour le bonus-malus appliqué aux employeurs — ou au Canada, les deux États servant de référence pour ce système d’ajustement automatique des règles d’assurance chômage. Il est à noter que dans ces deux pays, le taux de chômage local est pris en compte pour soit déclencher une extension automatique de droits, soit adapter les paramètres tels que les durées d’affiliation et d’indemnisation. Appliqué au cas français, cela impliquerait par exemple des règles d’assurance chômage différentes pour les demandeurs d’emploi de Mayenne (5,3 % de chômage au 3e trimestre 2021) et pour ceux des Pyrénées-Orientales (12,5 %)…
NOUVEL AFFAIBLISSEMENT DES PARTENAIRES SOCIAUX
Après la réforme du financement de l’assurance chômage via la suppression des cotisations salariales et l’échec de la négociation en février 2019, l’instauration d’une automaticité des règles d’assurance chômage pourrait définitivement pousser les partenaires sociaux à sortir de la gestion paritaire de l’assurance chômage et à laisser la main aux seuls pouvoirs publics. Une perspective qui pousserait un peu plus loin la logique d’éloignement des partenaires sociaux, telle qu’envisagée par le candidat Emmanuel Macron de 2017. À l’époque, devant la CFDT, celui qui allait devenir président de la République indiquait vouloir que les partenaires sociaux aient "moins de poids dans la gestion des grands risques", notamment celui de l’assurance chômage, estimant que "c’est la responsabilité de l’État" de s’en préoccuper.
Source : AEF