Nous interdire de partir en retraite avant 65 ans ne repose sur aucune nécessité économique. Si Macron en fait l'une des mesures phares de son prochain quinquennat, c'est par pure vilenie imprégnée de morale catholique à la sauce : « Tu ne te reposeras point. » Sado, le Président ? On dirait bien. Et maso, son électorat ? Ça c'est sûr.
« Nous devons travailler plus. Et là-dessus il y a deux leviers : le plein-emploi, et la réforme des retraites. Le premier objectif pour travailler plus est le plein-emploi. Cet objectif est atteignable : il consiste à faire dans les 5 ans qui viennent ce que nous avons fait dans les 5 ans qui viennent de s’écouler. Et donc je considère qu’en prenant cet engagement, je suis volontariste mais réaliste. »
Ce passage de la conférence de presse tenue par Emmanuel Macron la semaine dernière est très étonnant. Tout d’abord, parce que, plongé le nez dans les statistiques, Emmanuel Macron vit dans un monde enchanté où nous nous rapprocherions du « plein-emploi », alors que des millions de gens sont toujours privés de tout travail, et des millions d’autres n’effectuent que quelques heures par semaine, dans des emplois qui ne leur plaisent pas, et sont très mal payés.
Mais surtout parce que le plein-emploi n’est pas recherché comme un but en soi. Non. Il n’est qu’un objectif intermédiaire au service d’une cause plus grande : travailler toujours davantage. Pourquoi ? Comme tous les grands catholiques, dont Bernard Maris se moquait si bien ici, Macron souhaite nous faire souffrir car il aime cela, et pense lui-même sans doute sincèrement travailler dur.
La France, ce pays qui ne travaille(rait) pas assez
Sur le plan strictement économique, Macron a été nourri par toutes les publications de l’OCDE des dernières décennies qui pointent le relativement faible taux d’emploi de la France. En effet, si l’on regarde la tranche d’âge 20–64 ans, nous ne sommes « que » 72 % à nous lever le matin pour aller turbiner, soit pile la moyenne des 27 pays de l’UE, mais ce qui est moins qu’en Allemagne ou au Danemark (78 %) ou, pire encore, en Suède (80 %).
Ce qu’explique Macron, et qui est vrai, c’est que plus l’âge légal de départ à la retraite est élevé, plus le taux d’emploi des seniors (55–64 ans) est haut. En effet, si vous êtes obligé de rester travailler plus longtemps, ben, vous le faites, quitte à y laisser votre santé. D’ailleurs, l’indicateur principal de taux d’emploi, celui des 20–64 ans, correspond à 44 ans de labeur. Mais quel ministre ou député LREM souhaite que son fils commence à travailler à 20 ans ?
Mais la réalité est assez terrible. Selon votre année de naissance, vous devez déjà cotiser 42 ou 43 ans pour partir avec la fameuse retraite « à taux plein ». Il n’est pas besoin de sortir de Polytechnique pour comprendre que partir à 65 ans avec sa retraite maximum ne va pas être possible pour de très nombreuses personnes âgées aujourd’hui de 20 ou 30 ans.
En France, à 62 ans, seule une personne sur deux bosse encore
De plus, en France, 90 % des gens sont salariés. Le fait de pouvoir travailler dépend de l’existence et des décisions d’une autre personne, qui va les « employer » – ou non. Or, dans la plupart des entreprises françaises, on est qualifié de « senior » à 40 ans, de dinosaure à 50, et de grabataire à 60. Alors, comment rester travailler à l’usine, dans le commerce ou au bureau jusqu’à 65 ans ?
Eh bien, c’est impossible. À l’heure actuelle, à 62 ans, actuel âge minimum de départ en retraite, seul un adulte sur deux travaille. Les autres sont soit déjà morts, soit malades, soit au chômage, ou au RSA, perçoivent une allocation adulte handicapé, etc. Et donc les éventuelles économies faites sur les retraites se retrouvent en dépenses sociales, oh comme c’est intelligent.
Ce qu’ont réussi les réformes des retraites des dernières années, c’est une belle saloperie, assumée comme telle : en augmentant toujours plus le nombre d’années de cotisations pour une retraite pleine, passé de 37,5 à 43, vous savez que de plus en plus de gens n’arriveront pas à satisfaire à cette exigence, car ils seront malades, lourdés, touchés par la disparition de leur usine ou de leur métier à un âge où il est très difficile de se former à une nouvelle activité, etc. Donc vous baissez les retraites sans le dire, c’est hyper malin.
Il n’y a pas de problème de financement des retraites
D’ailleurs, dans toutes ses projections, le Conseil d’orientation des retraites explique que, en raison des réformes Balladur (1993), Fillon (2003), Woerth (2010), Touraine (2014) et autres, le coût des retraites est maîtrisé à l’avenir. En mars 2019, Agnès Buzyn, alors ministre des Solidarités et de la Santé, et Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des Comptes publics se réjouissaient du retour à l’équilibre du régime général des retraites et du fait que, dans son ensemble, la Sécurité sociale était « proche de l’équilibre ».
En 2021, le déficit du régime général des retraites a été inférieur à 3 milliards d’euros, et les retraites complémentaires ont même connu un excédent ! À l’inverse, ce gros nul d’État français a enregistré un déficit de 170 milliards d’euros. Et Macron vient donner des leçons à la Sécu, alors qu’il a volontairement fait perdre des dizaines de milliards de recettes par an à l’État : suppression de l’ISF, baisse de la fiscalité sur le capital, diminution de l’impôt sur les sociétés, forte réduction des impôts de production (20 milliards de perdus chaque année à eux seuls), etc. Dis, ça va bien la tête, oui ?
Bref, porter l’âge minimal de départ à la retraite à 65 ans est inutile et vicelard. Ainsi que le montre ce stupéfiant graphique produit par Libération, à 62 ans, un quart des personnes les plus pauvres sont déjà mortes – il faudra attendre 80 ans chez les riches pour atteindre la même proportion. Je pense que c’est clair pour tout le monde désormais, Manu est un sadique. Mais comme de nombreux Français sont masochistes, leur lune de miel est faite pour durer. ●