Semaine de quatre jours : sous le vernis du bien-être, l’intensification du travail !

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L’étude de quelque centaines d’accords d’entreprise révèle que la semaine de quatre jours compresse davantage les journées des salariés, et sert aux entreprises d’instrument de flexibilisation du temps de travail.

 

Du Japon à la Nouvelle-Zélande, en passant par le Royaume-Uni ou encore le Portugal, la semaine de quatre jours a le vent en poupe ces dernières années. La France n’échappe pas à la frénésie : en 2023, selon le ministère du Travail, près de 10 000 salariés de l’Hexagone travaillaient en quatre jours. Entre 2021 et 2023, le nombre d’accords d’entreprise évoquant cette manière de travailler est passé de 80 à 450, tous secteurs d’activité confondus.

Qu’est-ce qui peut bien expliquer que la fièvre de la semaine de quatre jours ait piqué autant de firmes tricolores ? Les récents travaux de la sociologue Pauline Grimaud, maîtresse de conférences à Tours, nous apportent des réponses. Pour le Cnam-CEET, elle a passé en revue 150 accords d’entreprises signés en 2023.

Sans surprise, la majorité des accords indiquent proposer la semaine de quatre jours au nom du « bien-être au travail » de leurs salariés. De quoi a priori se réjouir : à une époque où les conditions de travail des Français se dégradent, de nombreux employeurs semblent prendre le contrepied et vouloir prendre soin de leurs subordonnés.

Un temps de travail très peu réduit

Car parmi les 49,3 % d’accords évoquant le bien-être au travail, 40 % précisent « tout en préservant la compétitivité de l’entreprise ». Pas folle, la guêpe ! Cette compétitivité implique qu’il n’y ait pas de baisse de la durée du travail dans neuf cas sur dix.

« On arrive facilement à des amplitudes journalières de travail de dix heures ou plus, précise Pauline Grimaud. Aucun accord ne parle de baisse de la charge de travail. Autrement dit, les salariés doivent faire autant, en moins de jours. Leur semaine est compressée. »

 

« On a souvent tendance à confondre la semaine de quatre jours et la semaine “en” quatre jours », Eric Heyer, économiste

On retrouve bien là les limites que nous évoquions il y a quelques mois et que résumait Eric Heyer, économiste à l’OFCE : « On a souvent tendance à confondre la semaine de quatre jours et la semaine “en” quatre jours. »

Dans les accords d’entreprise qu’a étudiés Pauline Grimaud, certaines sociétés ont bel et bien réduit la durée de travail. Mais, d’une part, elles sont très rares – 10 %1 de son échantillon. D’autre part, elles le font souvent en exigeant une contrepartie :

« La réduction peut par exemple s’opérer en passant d’une semaine de 39 heures à 35 heures, mais avec la suppression de jours de RTT. Donc à l’échelle de l’année, il ne s’agit pas d’une réduction réelle du temps de travail. », pointe la sociologue.

Trois nuances de semaines de quatre jours

Dans les 150 accords étudiés, la chercheuse a repéré au moins trois formules différentes de la semaine de quatre jours. La plus courante consiste à travailler quatre jours sur cinq. Il existe ensuite une « semaine de quatre jours modulée », c’est-à-dire pensée comme un instrument de flexibilisation du temps de travail en fonction des besoins de l’entreprise.

« Les employés peuvent travailler 32 heures lors des périodes de basse activité, puis 40 heures lors des pics d’activité », reprend Pauline Grimaud.

Dans la même logique, la « semaine de quatre jours sur sept » est proposée dans des secteurs où l’activité s’exerce en continu : santé, aide à la personne, centres d’appels, commerces, etc.

« On demande aux salariés d’être disponibles sur des plages horaires qui sont celles de l’activité : le week-end, très tôt le matin, tard le soir, détaille la sociologue. Dans ce cas, la semaine de quatre jours est souvent proposée comme une contrepartie à des contraintes horaires très fortes. »

Cette dernière formule, qui concerne le plus souvent des femmes, ne manque pas de paradoxes : elle est souvent présentée comme un moyen d’équilibrer vie professionnelle et vie personnelle, sauf que les horaires sont très décalés et, de ce fait, entrent en contradiction avec la vie de famille.

Le « bien-être hors travail »

En somme, après l’avoir étudiée dans le détail, la semaine de quatre jours semble davantage s’inscrire dans la continuité du mouvement d’intensification du travail observé depuis les années 1990 que le contredire, conclut Pauline Grimaud.

« Elle présente un risque d’accentuation du “modèle de la hâte” et du “travail pressé” dont parlent les chercheurs Serge Volkoff et Corinne Gaudart. » L’objectif premier reste ainsi d’aller toujours plus vite et d’intensifier le travail, en facilitant la vie aux entreprises qui peuvent plus facilement adapter l’activité.

Avec la semaine de quatre jours, il n’est pas question de réduire le temps de travail pour mieux le répartir et créer des emplois

Cette philosophie est donc loin de la logique qui émergeait avec les lois Aubry (en 1998 et 2000) pour les 35 heures, même s’il était déjà question de flexibilisation. Avec la semaine de quatre jours, il n’est pas question de réduire le temps de travail pour mieux le répartir et créer des emplois.

L’objectif d’amélioration du « bien-être » lui-même paraît finalement lointain, la mise en avant du travail sur quatre jours permettant d’esquiver la question de la baisse du temps de travail.

Servant en quelque sorte de caution, le dispositif apparaît, côté pile, comme un aménagement pour les salariés, mais il leur impose, côté face, des contreparties importantes en termes de cadence et de disponibilité. Voilà qui tend à expliquer pourquoi le dispositif est si populaire chez les employeurs…

Si amélioration du « bien-être » il peut y avoir, elle est à chercher davantage en dehors du travail qu’en son sein, avec une journée libérée de plus. Pas sûr que le deal soit gagnant : travailler intensément, sur un temps plus restreint, pour avoir la possibilité d’échapper ensuite, pendant plus longtemps, à un « travail pressé », n’est-ce pas une triste vision de l’amélioration de la vie des salariés ?

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/semaine-de-quatre-jours-vernis-bien-etre-lintensification/00113012?utm_source=emailing&utm_medium=email&utm_content=08112024&utm_campaign=quotidienne



12/11/2024
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