Le gouvernement démissionnaire a démissionné de la lutte contre la pauvreté depuis longtemps. Sa stratégie principale depuis 2017, de facto sa seule stratégie, a été l’insertion par l’emploi. D’autres volets ont été évoqués comme la solidarité à la source, c’est-à-dire le versement automatique des prestations sociales, sans que cela se traduise par des mesures concrètes.
Or la stratégie de lutte contre la pauvreté par l’emploi est un échec prévisible. L’emploi a augmenté – le taux d’emploi de la population d’âge actif est passé de 65,5 % en 2017 à 68,1 % en 2022 – et le taux de chômage a baissé. Mais le taux de pauvreté a également crû dans cette période : de 13,8 % en 2017 à 14,4 % en 2022.
Ceci était prévisible dans la mesure où la politique de l’emploi s’est appuyée sur la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs (salariés, chômeurs ou bénéficiaires de l’assistance) avec la réforme du Code du travail, celle de l’assurance chômage, ou encore la loi pour le plein-emploi conditionnant le RSA à 15 heures d’activité.
Ce choix délibéré de l’emploi à tout prix, mais surtout d’emplois à bas coût1, débouche, là encore sans surprise, sur une augmentation des inégalités et donc de la pauvreté, malgré la baisse du chômage et de l’emploi précaire, pour partie réelle. Entre 2020 et 2022, la hausse de la pauvreté concerne toutes les catégories (chômeurs, actifs en emploi, inactifs, enfants).
Cette évolution n’est pas étonnante dans la mesure où, en comparaison internationale, le lien entre inégalités et pauvreté d’une part, emploi et chômage de l’autre, est faible. Les Etats-Unis, par exemple, cumulent faible chômage et fortes inégalités ; historiquement la France alliait chômage élevé et inégalités relativement faibles. Au milieu des années 2000, l’Allemagne a vu le chômage fortement baisser… et les inégalités et la pauvreté croître2.
Eric Heyer concluait en 2012, au sujet des réformes du marché du travail (lois Hartz) :
« Il existe donc bien une face cachée des réformes menées en Allemagne depuis plus de dix ans qui ont conduit vers moins de chômage mais plus de pauvreté. »
La France semble avoir pris avec retard une voie similaire avec des conséquences identiques en termes de pauvreté et il n’est pas dit que les autres aspects de la « réussite » allemande aient pu être répliqués.
Que devrait faire un gouvernement non démissionnaire ? Prendre au sérieux l’objectif de lutte contre la pauvreté. La pauvreté est définie par le manque de ressources ; elle est causée par le manque d’accès aux ressources (puisque la pauvreté n’est pas volontaire). Ce combat doit s’appuyer sur trois piliers, permettant d’augmenter l’accès aux ressources : redistribution monétaire, marché du travail et services publics.
Dans une économie de marché, une lutte efficace contre la pauvreté s’appuie en premier lieu sur la redistribution monétaire. Il est ainsi primordial de donner des ressources monétaires aux pauvres afin de lutter contre le cercle vicieux de la pauvreté3.
Pour lutter contre la trappe à pauvreté, qui est la pauvreté elle-même, il faut donc revaloriser le RSA jusqu’à un niveau décent
Parler de politique préventive plutôt que curative est la tarte à la crème du discours politique4. Mais si vous allez chez le médecin avec une fièvre, ce n’est pas (que) pour chercher des conseils préventifs. Le paracétamol fait baisser la fièvre. Il s’attaque certes au symptôme, mais le symptôme peut vous tuer, ce qui n’est pas la meilleure voie vers la guérison.
De même que faire baisser la température participe à la guérison, accorder des ressources aux pauvres leur permet de faire les investissements nécessaires pour s’en sortir. Pour lutter contre la trappe à pauvreté, qui est la pauvreté elle-même, il faut donc revaloriser le RSA jusqu’à un niveau décent – et l’indexer sur les niveaux de vie – et ouvrir l’éligibilité aux 18-25 ans ayant décohabité.
Une stratégie sérieuse de lutte contre les inégalités et la pauvreté doit redonner du pouvoir de négociation aux plus faibles en revenant sur les aspects les plus délétères des lois travail, plein-emploi, ainsi que sur la réforme de l’assurance chômage.
Si l’idée est de s’attaquer aux causes profondes des inégalités, on peut convenir que s’attaquer au seul chômage est un peu court
La protection de l’emploi, l’assurance font partie d’un ensemble de mesures de redistribution dites efficaces. Avec les bonnes régulations, il est possible de donner du pouvoir aux travailleurs de façon à la fois à réduire les inégalités et augmenter l’efficacité économique en améliorant les appariements sur le marché du travail ou en s’assurant que les employés s’investissent dans leur emploi.
Donner du pouvoir aux travailleurs, c’est aussi renforcer le droit au passage au temps plein pour les salariés précaires, redéfinir par la régulation les conditions de travail notamment dans le secteur de la propreté, de l’hôtellerie-restauration, des services à la personne, de sorte à réduire le temps de travail incomplet contraint et les maladies professionnelles.
Enfin, si l’idée est de s’attaquer aux causes profondes des inégalités, on peut convenir que s’attaquer au seul chômage est un peu court. Pour paraphraser un ancien Premier ministre, l’emploi ne peut pas tout.
Les marxistes pointeront la propriété privée comme cause initiale des inégalités mais si la logique est de sauver le capitalisme de lui-même, il faut se souvenir que les services publics (éducation, santé, logement, transports) sont la richesse des dépossédés.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/guillaume-allegre/devra-faire-un-gouvernement-non-demissionnaire-pauvrete/00112237
Eric Heyer
Directeur du département analyse et prévision de l'OFCE
Le virage encore plus à droite du gouvernement, enclenché par la nomination de Michel Barnier à Matignon, annonce le chemin pris vers l’austérité budgétaire.
Eric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), livre son analyse sur les répercussions économiques d’une réduction drastique des dépenses sans hausse d’impôts. Entre baisse du pouvoir d’achat, chute de la productivité et destruction d’emplois en vue, il détaille les défis qui attendent le nouveau gouvernement.
Avec la nomination de Michel Barnier à Matignon, à quel budget peut-on s’attendre ?
Eric Heyer : Ses engagements européens et ses passages à la Commission européenne 1 laissent penser qu’il aura tendance à respecter les règles budgétaires européennes. Pendant la primaire de la droite en 2021, il disait qu’il fallait se lancer dans des trajectoires de réduction de la dépense publique strictes et de la stabilisation de la dette.
Au regard des notes sur le budget délivrées par le ministère de l’Economie cette semaine, il faut s’attendre à des coupes budgétaires proches de 30 milliards d’euros, soit un point de produit intérieur brut (PIB). Donc on se dirige vers un budget très rigoureux.
Si l’on se fie toujours à ses déclarations de 2021, Michel Barnier devrait vouloir faire reposer cet effort essentiellement sur les dépenses publiques. Mais on se rend bien compte que ça va être compliqué. Côté recettes fiscales, ce qui pourrait être compatible avec ses idées serait de réduire les allègements de cotisations sociales, notamment au-delà de 1,6 fois le Smic, et de rogner sur les niches fiscales.
Quelles seront les répercussions sur l’économie de cette austérité ?
E. H. : Il est quasi certain que cela va réduire la croissance économique. Bercy prévoit une croissance du PIB de 1,1 % pour 2025. Mais avec un budget d’austérité, ce sera moins de 0,5 %, autrement dit un ralentissement franc et massif de l’économie !
« Alors que les entreprises indiquent déjà que leur principal frein est la demande, cela va accentuer les destructions d’emplois »
Qui dit austérité dit réduction du pouvoir d’achat des ménages. Alors que les entreprises indiquent déjà que leur principal frein est la demande, c’est-à-dire des carnets de commandes vides, cela va accentuer les destructions d’emplois et la hausse du chômage.
Le contexte actuel est aussi celui d’un retour des règles budgétaires européennes en 2025 qui présage de l’austérité chez nos voisins…
E. H. : C’est vrai, et faire de la rigueur en même temps que les autres n’est pas bon. Votre économie subit votre propre austérité, mais aussi celle de vos partenaires qui entraîne des baisses d’exportations, puisque la demande diminue également chez eux.
Le phénomène ne devrait toutefois pas avoir la même ampleur qu’en 2010-2014. Après la crise financière de 2008, certains pays comme l’Italie ou l’Espagne étaient dans une très mauvaise situation budgétaire, et ont mené une politique d’austérité radicale.
Aujourd’hui, le paysage n’est pas le même. L’Espagne est même dans une bonne situation financière et son déficit se rapproche des 3 % de PIB. L’Italie n’annonce pas non plus de grosses mesures d’austérité. Par ailleurs, les Allemands ont, eux, davantage un problème de croissance faible, donc ils ont plutôt intérêt à faire un peu de relance.
Malgré le fait que le contexte européen soit moins dégradé aujourd’hui, ce n’est pas pour autant le bon moment d’adopter une politique d’austérité.
Quelle serait votre recommandation budgétaire au nouveau gouvernement ?
E. H. : Pendant la crise sanitaire puis énergétique, les comptes publics se sont dégradés à cause des mesures exceptionnelles qui ont été mises en place. Tous les pays européens l’ont fait – et avec raison !
Aujourd’hui, la France connaît à peu près la même croissance que ses voisins, mais ses finances sont plus dégradées. Donc on a sans doute prolongé plus que nécessaire certaines mesures de soutien. Je recommanderais donc de commencer par faire un état des lieux en la matière.
« Faire reposer les coupes budgétaires uniquement sur les dépenses publiques reviendrait à cibler essentiellement les classes moyennes et populaires »
Ensuite, il faut rappeler que ces mesures, en particulier le bouclier tarifaire, n’étaient pas ciblées en France, contrairement aux dispositifs que les autres pays européens ont mis en place pour faire face à la crise énergétique. Cela signifie, d’une part, que nos mesures étaient sûrement plus chères et moins efficaces. D’autre part, puisque tout le monde en a bénéficié, ménages aisés comme modestes, urbains comme ruraux, jeunes comme vieux, tout le monde devrait participer au remboursement. Donc si j’étais le nouveau ministre de l’Economie, je ferais peser l’effort budgétaire sur tout le monde.
Et c’est pour cela qu’on ne peut pas faire reposer les coupes budgétaires uniquement sur les dépenses publiques. Cela reviendrait à cibler essentiellement les classes moyennes et populaires, qui sont les catégories qui bénéficient le plus de ces dépenses.
La conclusion de tout ceci c’est qu’il est impossible de respecter l’engagement d’Emmanuel Macron de ne pas augmenter les impôts. Pour faire participer les classes supérieures, qui ont aussi profité des aides exceptionnelles, vous êtes obligés d’en passer par là – d’autant plus si vous souhaitez réduire votre budget de 30 milliards d’euros !
Concernant les autres réformes déterminantes pour notre économie, que présage la nomination de Michel Barnier ?
E. H. : Les réformes les plus nécessaires actuellement – autrement dit celles dont le report pourrait s’avérer le plus coûteux – sont celles en faveur de la bifurcation écologique. Ce qu’on peut retenir des propos passés de Michel Barnier, c’est qu’il semble prôner une transition écologique de droite, dont les fondamentaux sont le soutien à l’énergie nucléaire et aux entreprises.
« Michel Barnier semble prôner une transition écologique de droite, dont les fondamentaux sont le soutien à l’énergie nucléaire et aux entreprises »
Mais sachant qu’il va déjà être très complexe de trouver 30 milliards d’euros d’économies, le faire en augmentant la dépense pour l’écologie semble impossible. Donc il y a un gros risque qu’au nom des exigences de court terme – pour rassurer Bruxelles, pour réenclencher une stabilisation de la dette – on perde un budget favorable à l’environnement. Je serais étonné qu’on ait un budget « vert » en 2025. Ce que l’on risque de payer très cher à moyen et long terme.
L’inflation reflue (elle est retombée à 1,9 % en août, selon les estimations de l’Insee) et les prix de certains produits ont même baissé ces derniers mois. Est-ce qu’on est enfin arrivé au bout du cycle inflationniste ?
E. H. : Effectivement l’inflation baisse, aux alentours de 2 %, ce qui reste supérieur au niveau d’avant-crise, autour de 1 %.
Mais l’important, c’est moins l’inflation que le niveau des prix. Il faut bien avoir en tête que les prix ne vont pas baisser, mais seulement progresser moins vite. Comme ils sont déjà supérieurs aujourd’hui de 18 % au niveau d’avant crise, nous allons avoir des prix durablement plus élevés.
Quelle sera la conséquence pour le pouvoir d’achat des ménages ?
Les prix ont monté des marches d’escalier plus hautes que les salaires pendant la crise. Donc s’ils évoluent au même rythme – disons 2 % – l’écart va continuer de se creuser.
Fin 2023, l’écart entre la marche sur laquelle se situe le salaire moyen de base et celle où se trouvent les prix était de plus de quatre points de pourcentage. Cela signifie qu’il y a une perte significative de pouvoir d’achat pour les salariés.
D’après les derniers chiffres du ministère du Travail, les salaires augmentent de moins en moins vite. A ce rythme, pourra-t-on retrouver le pouvoir d’achat perdu ?
E. H. : Il y a des raisons qui expliquent que les salaires n’aient pas suivi l’inflation. D’abord, on négocie les salaires une fois par an, donc les employeurs ont pu être surpris par l’inflation dans un premier temps. Ensuite, les chefs d’entreprise ont pu penser que les prix finiraient par baisser, et ont donc préféré distribuer des primes, en raison de leur nature temporaire, plutôt que des hausses de salaires.
Aujourd’hui, on y voit plus clair. Les prix progressent à un rythme bien plus modéré, donc on devrait logiquement observer une dynamique de progression des salaires nettement supérieure à celle des prix pour qu’ait lieu le rattrapage. Or ce n’est pas ce qui semble se produire. Première hypothèse : le rattrapage sera très lent et se fera sur trois ou quatre ans. Deuxième hypothèse : le niveau de productivité ne permet pas le rattrapage.
Normalement, la progression de votre salaire dépend de votre productivité. Or, celle-ci a chuté depuis 2019. Et il faut bien que quelqu’un paye ! Les entreprises peuvent baisser leurs marges, ou faire supporter ce coût aux salariés en augmentant les salaires moins fortement que leurs prix. La troisième possibilité, c’est que l’Etat compense et paye soit les salariés, soit les entreprises, à hauteur de la baisse de la productivité.
Dernièrement, ce ne sont pas les entreprises qui ont payé, car on a vu leurs marges, au niveau macroéconomique, se stabiliser. En revanche les salariés y ont perdu, avec une baisse des salaires réels, ainsi que les finances publiques, avec un creusement du déficit. L’Etat a notamment subventionné les employeurs pour qu’ils prennent des apprentis, ce qui a enrichi la croissance en emploi. Les entreprises ont donc embauché plus grâce aux aides à l’apprentissage, alors que la croissance était faible. On a ainsi davantage de personnes qui travaillent pour produire à peine plus qu’avant. Résultat : la productivité chute.
La croissance de l’apprentissage, en partie financée par l’Etat, n’était donc pas une bonne stratégie ?
E. H. : L’objectif du gouvernement est le plein-emploi. Pour cela, la première possibilité c’est qu’il y ait plus de croissance. Par exemple, si la croissance annuelle du PIB est de 0,9 % et que les salariés produisent en moyenne 0,9 % de plus chaque année – ce qui correspond à ce qu’on appelle les gains de productivité –, les entreprises n’ont pas besoin d’embaucher parce que leurs salariés produisent suffisamment pour répondre à la demande. Pour que les entreprises créent de l’emploi, il faut qu’elles en aient besoin, donc il faut une croissance supérieure aux gains de productivité.
S’il n’y a pas assez de croissance, le gouvernement peut mettre en place des politiques d’incitation à l’embauche. En ce sens, l’apprentissage peut être une bonne mesure. Aider les jeunes avec peu de qualifications à s’insérer sur le marché du travail est vertueux.
« Ce n’est pas tant l’apprentissage qu’il faut remettre en cause que le fait qu’il soit ouvert à tous de la même manière »
La réforme de l’apprentissage de 2018 et les aides de 2020 allaient dans ce sens. L’erreur a été d’ouvrir les aides à tous les étudiants. On est passé d’à peu près 300 000 à environ 900 000 apprentis avec une majorité des nouveaux apprentis qui ont un bac +4 ou un bac +5. Or, ces apprentis n’ont pas forcément besoin du même coup de pouce que ceux qui ont un niveau infra-bac. Il y a un pur effet d’aubaine.
Donc ce n’est pas tant l’apprentissage qu’il faut remettre en cause que le fait qu’il soit ouvert à tous de la même manière.
Au-delà de l’apprentissage, puisque ce n’est pas la seule cause de la chute de la productivité française, est-ce qu’un retour des gains de productivité est envisageable dans les mois à venir ?
E. H. : Il est encore difficile de répondre à cette question, mais il y a des signaux positifs. Pendant la crise sanitaire, on a versé beaucoup d’aides aux entreprises, y compris à celles qui n’en avaient pas besoin, ainsi qu’à des entreprises qui auraient dû faire faillite sans la crise.
Les premières en ont profité pour embaucher plus. Les secondes, elles, ont préservé des emplois destinés à disparaître. Dans les deux cas de figure, cela a enrichi la croissance en emploi et donc fait chuter la productivité.
Au sein des aides publiques, la principale mesure était le prêt garanti par l’Etat (PGE). Désormais, ces prêts vont petit à petit devoir être remboursés, ce qui engendre une hausse des défaillances d’entreprises, et donc des destructions d’emplois. Les entreprises qui ne feront pas faillite, elles, auront moins de marge pour embaucher. Cela va permettre un regain de la productivité.
Autre élément allant dans le même sens : c’est la fin des problèmes d’approvisionnement dans l’industrie. Pendant la crise, les pénuries avaient forcé des entreprises à arrêter leur production. Sauf qu’au lieu de licencier, elles avaient préservé leur main-d’œuvre en prévision de la reprise. Il y avait donc des emplois improductifs.
Désormais, on revient à la normale, et la productivité dans l’industrie, qui avait chuté à cause de la rétention de main-d’œuvre, est en train de se relever. Cela va permettre aux entreprises de verser des salaires au-dessus des prix sans perdre de marge.
Le revers de la médaille, c’est qu’il faut s’attendre à une diminution des créations d’emplois, et donc potentiellement un rebond du chômage. Ce retour aux gains de productivité ne se traduira donc pas forcément par une hausse de la consommation. En période de croissance faible, comme c’est le cas actuellement, on devrait assister à une simple redistribution des richesses : ce que les salariés en place gagneront, d’autres le perdront en perdant leur emploi.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/eric-heyer-on-se-dirige-vers-un-budget-dausterite-va-reduire/00112328?utm_source=emailing&utm_medium=email&utm_content=07092024&utm_campaign=quotidienne
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Fin juillet, alors que les Jeux olympiques sont sur le point de commencer, Emmanuel Macron répond aux questions lors du JT de France 2. Invité à expliquer la défaite électorale de son camp, le Président déclare : « Je pensais très sincèrement qu’en commençant à régler la question du chômage de masse, on réconcilierait la France avec elle-même. Ça n’est pas suffisant. »
« Commencer à régler la question du chômage de masse » ? Le diagnostic est généreux. Certes, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le taux de chômage a nettement baissé. Mais cette baisse avait commencé sous François Hollande, et cette baisse a été globalement plus faible que celles de voisins européens.
Bref, le gouvernement a la fâcheuse tendance à survendre un bilan contestable en termes d’emploi. Surtout, la baisse du chômage a connu un gros coup d’arrêt après l’euphorie post-pandémie Covid-19. Entre le premier trimestre 2023 et son équivalent 2024, le taux de chômage a ainsi progressé de 0,4 point, remontant à 7,5 %.
Dans ce contexte, la publication des derniers chiffres de l’emploi était particulièrement attendue. Bonne nouvelle, ils sont plutôt encourageants selon les deux thermomètres – de nature très différente – qui mesurent l’évolution de l’emploi. La Dares, rattachée au ministère du Travail, qui s’appuie sur les personnes inscrites à France Travail, note que le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, B et C a diminué de 0,2 % au deuxième trimestre 2024, portant leur nombre à 5,8 millions de personnes.
Les enquêtes emploi de l’Insee, de leur côté, décèlent une tendance similaire. L’institut note qu’« au deuxième trimestre 2024, le nombre de chômeurs en France (hors Mayotte) [...] diminue de 40 000 par rapport au trimestre précédent, à 2,3 millions de personnes. Le taux de chômage diminue ainsi de 0,2 point, à 7,3 % de la population active ».
La baisse du chômage est-elle donc réenclenchée ? « Il ne faut pas trop extrapoler ce beau chiffre », répond Bruno Coquet, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), également chroniqueur pour Alternatives Economiques. D’abord, parce que la marge d’erreur pour la statistique du chômage est de plus ou moins 0,3 point.
Ensuite, si l’on observe les indicateurs complémentaires au sacro-saint taux de chômage, des points de vigilance apparaissent. « L’évolution la plus notable est la poursuite de la hausse du taux d’activité », note ainsi Bruno Coquet. Cet indicateur mesure la part de la population qui est active, c’est-à-dire en emploi ou au chômage. Cette hausse est en bonne partie liée aux réformes, qui, ces dernières années, ont consisté à ramener de force certaines personnes proches du monde du travail, à l’image du RSA conditionné à 15 heures d’activité ou l’allongement de l’âge de départ à la retraite, qui maintient des seniors plus longtemps sur le marché du travail.
L’intérim recule pour le sixième trimestre consécutif, avec 48 700 postes en moins par rapport au deuxième trimestre 2023
La hausse du taux d’activité et celle du taux d’emploi sont généralement considérées comme de bonnes nouvelles macroéconomiques parce qu’elles traduisent une plus grande participation de la population à la force de travail d’un pays. Mais ces derniers mois, une partie de cette hausse résulte probablement de l’injonction du gouvernement à travailler coûte que coûte.
Par ailleurs, le diable se cachant dans les détails, d’autres points viennent nuancer les chiffres du chômage. A commencer par la dégradation de l’emploi intérimaire. Les statistiques du début de l’été indiquent en effet que l’intérim recule pour le sixième trimestre consécutif (avec 48 700 postes en moins par rapport au deuxième trimestre 2023).
Certains secteurs d’activité comme l’industrie automobile, la construction ou encore le tertiaire sont particulièrement touchés. Rien qu’en juin, l’intérim a subi une perte de 20 000 postes ! « On a du mal à comprendre pourquoi », signale Bruno Coquet.
Pour le BTP par exemple, le recours à l’intérim – pourtant très courant – est en baisse nette. Elle traduit probablement la crise que connaît le secteur depuis plusieurs mois, liée au durcissement de la politique monétaire et aux normes environnementales. « Mais nous en saurons davantage sur les raisons précises début septembre », poursuit l’économiste de l’OFCE.
Ces informations sont précieuses. Car si l’intérimaire ne représente qu’entre 2 et 3 % de l’emploi salarié en France, il sert souvent d’indicateur conjoncturel avancé des évolutions à venir sur le marché du travail, du fait de sa sensibilité à l’évolution du climat économique.
Un autre point permet de relativiser les « bons chiffres » du chômage si l’on zoome sur les populations en demande d’emploi : « On observe un important recul du taux d’activité et du taux d’emploi des femmes âgées de 15 à 24 ans », reprend Bruno Coquet. La cause pourrait être d’ordre sectoriel, mais là encore, l’économiste ne se risque pas à des explications.
En attendant, le constat est clair : au deuxième trimestre 2024, le taux de chômage des femmes de 15-24 ans atteint les 17,9 %, soit plus que toutes les autres tranches d’âge. Ce taux est également supérieur à celui des jeunes hommes.
Pour autant, ces ombres sur le tableau du chômage annoncent-elles un retournement du marché de l’emploi ? Difficile d’avoir une réponse tranchée du côté des économistes.
Certes, en avril, l’OFCE tablait sur un retournement du marché de l’emploi pour 2024, en raison du ralentissement des embauches. Et dans sa dernière note de conjoncture, la Banque de France, qui prévoyait également un tel phénomène pour début 2024, a décalé son diagnostic, écrivant désormais que « le taux de chômage connaîtrait une hausse limitée en 2025 (7,9 %) ».
Mais interrogé par Le Monde, début août, Yves Jauneau, chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l’Insee, appelait à rester prudent :
« L’emploi s’inscrit dans une tendance de net ralentissement : en 2023, il a progressé de 0,1 % par trimestre, soit beaucoup moins qu’en 2022, où la hausse était de 0,4 %. Mais on n’a pas encore de signe de retournement du marché du travail pour le moment. »
Un dernier point, positif cette fois, doit être pris en compte dans l’équation finale, indique Bruno Coquet : avec un petit peu de croissance (1 %) et un ralentissement de la création d’emploi, 2024 pourrait signer le retour des gains de productivité.
« Est-ce que tous ces éléments (productivité, taux de chômage des jeunes femmes, intérim) invitent à changer ce qu’il y a dans les prévisions ? La réponse est non. Et est-ce qu’on a une embellie ou une vraie détérioration ? Non plus. »
Bref, le brouillard est important sur l’avenir de l’emploi. Ce d’autant que les chiffres à disposition, qui ont servi de base aux projections, datent d’avant la crise politique consécutive aux élections européennes. Plusieurs notes de conjoncture devraient être publiées dès la rentrée à ce propos. Peut-être dessineront-elles des tendances plus claires au sujet des courbes du chômage.
https://www.alternatives-economiques.fr/faut-craindre-un-retour-chomage/00112093
Une dégradation des conditions de travail qui peut avoir de très lourdes conséquences. Dans une étude publiée par la Dares* le 13 août, trois chercheurs (Antoine Duarte, maître de conférences en psychopathologie du travail à l’université de Toulouse Jean Jaurès, Stéphane Le Lay, sociologue associé et Fabien Lemozy, sociologue), membres de l’Institut de psychodynamique du travail, donnent la parole à des conseillers, des psychologues ainsi que des agents chargés du contrôle de la recherche d’emploi chez France Travail (ex-Pôle emploi).
Une enquête qui, comme le précisent d’emblée les chercheurs, «n’aurait pas été possible sans l’aval de la direction régionale de Pôle emploi (le nom de France Travail avant le 1er janvier 2024, l’étude ayant été finalisée en juillet 2023, NDLR), qui porte un intérêt particulier aux questions de santé mentale des individus en situation précaire, et qui a facilité et coordonné nos interventions et nos réunions collectives avec les conseillers volontaires». De son côté, la direction générale de France Travail affirme pourtant auprès de Capital «qu’il s’agit là d’une étude sociologique qui, du fait du très faible nombre de personnes interrogées, ne saurait en aucune manière être représentative de la parole des 55 000 agents de France Travail, ni de celle de l’ensemble des demandeurs d’emploi accompagnés par France Travail. De ce point de vue, les résultats de cette étude n’ont, pour France Travail, aucune rigueur scientifique».
Mais selon les témoignages recueillis par les chercheurs, le constat est sans appel : les agents de l’opérateur public pour l’emploi pointent une «désorganisation» de leur activité et un accroissement de la «pression» ayant un impact sur leur santé mentale, mais aussi sur la qualité de l’accompagnement proposé aux demandeurs d’emploi, relatent les auteurs de l’étude. Ainsi, les échanges collectifs avec les différents témoins «ont permis d’identifier un processus connu dans d’autres secteurs d’activité du tertiaire (comme les hôpitaux, les banques, etc.) : la mise en place d’une forme d’industrialisation de la relation de service proposée par Pôle emploi aux demandeurs d’emploi», décrivent-ils.
Les trois sociologues parlent même d’une «clientélisation des demandeurs d’emploi», les conseillers devant gérer des «portefeuilles» constitués par un nombre d’entreprises ou de chômeurs toujours plus important chaque année. Dès lors, même en mettant de côté le problème de sous-effectif touchant certaines agences, «l’ensemble des activités à réaliser dépassent largement, selon les participants (à l’enquête, NDLR), le temps de travail légal. La pression temporelle liée à la surcharge de travail donne ainsi l’impression de traiter du “flux” au détriment d’une écoute affinée de la situation du demandeur d’emploi, et de son accompagnement», dépeignent les auteurs de l’étude.
D’ailleurs, dès fin 2014, il était question du «développement d’une culture de la performance» dans la convention tripartite pluriannuelle entre l’Etat, l’Unédic (l’organisme chargé de la gestion du régime d’assurance chômage) et l’ex-Pôle emploi. Une culture qui repose sur «une politique du chiffre», selon les chercheurs. Et celle-ci «prend des aspects bien plus cyniques quand elle sert la volonté de contrôler les demandeurs d’emploi, dont la motivation à les faire sortir des taux du chômage est à peine masquée», signalent-ils. Il faut dire que la pression politique s’est accentuée en la matière dès le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Depuis, elle n’a pas cessé, le Premier ministre, Gabriel Attal, ayant encore annoncé, en mars dernier, une intensification des contrôles dès cette année.
Les agents chargés du contrôle des demandeurs d’emploi et interrogés dans le cadre de cette enquête partagent ainsi «un sentiment de pression productiviste, avec un discours largement porté sur les quantités de dossiers clôturés», rapportent les auteurs de l’étude. D’autant qu’ils doivent aussi faire face à «l’instauration d’une concurrence entre agences» : «On nous précise bien que certains font 100 (contrôles, NDLR) par mois quand d’autres ne font que 30 sur la même période», explique ainsi l’un des agents de contrôle ayant participé à l’enquête.
«France Travail est un service public qui donne à ses agents des objectifs et qui mesure ses résultats, ce qui est parfaitement normal s’agissant d’un établissement financé par l’argent public. Personne ne comprendrait qu’il en soit autrement. Ce que nous mesurons, avec un degré de représentativité et de rigueur tout autre que celui de l’étude en question, c’est un haut niveau de satisfaction des demandeurs d’emploi et des entreprises que nous accompagnons. Même si comme toute institution, nos résultats sont toujours perfectibles, nous notons que la satisfaction des demandeurs d’emploi sur leur suivi et leur accompagnement est de 84,5% en 2023», se défend la direction générale de l’opérateur public pour l’emploi.
D’après les auteurs de l’étude, ce développement d’une politique du chiffre s’accompagne aussi d’une «procéduralisation croissante du travail, à travers la mise en place de protocoles et d’outils informatiques». Or si la direction générale de France Travail assure à Capital que la dématérialisation et le développement du numérique «permettent aux conseillers de se recentrer sur leurs missions premières», à savoir «le diagnostic des besoins, le conseil pour s’orienter sur le marché du travail et l’accompagnement pour réaliser au plus vite son projet professionnel», ces outils informatiques sont décrits par les conseillers comme étant «peu maniables» et un «facteur de renforcement de la distance entre eux et les chômeurs», ceux-ci étant invités à se saisir de la numérisation de leur suivi.
Une distance avec les demandeurs d’emploi qui est accentuée par un «ensevelissement» quotidien des agents «sous un flot d’information continu» et par «leur enfermement dans un jargon institutionnel (acronymes en particulier), incompréhensible pour beaucoup (y compris en interne)», poursuivent les chercheurs. Et ce, «à tel point que l’institution est décrite par les conseillers participants comme celle du “changement permanent”», ajoutent-ils.
Dès lors, l’un des conseillers témoins dit évoluer «entre une grande souffrance, un grand plaisir et la confusion». Une phrase qui «résume la difficile position à tenir pour les salariés engagés auprès des demandeurs d’emploi», insistent Antoine Duarte, Stéphane Le Lay et Fabien Lemozy. Et ce, car les participants à l’enquête (conseillers comme psychologues France Travail) font part d’un écart considérable entre les situations des demandeurs d’emploi accompagnés et les attentes de l’institution. Certains conseillers en viennent même à parler de situations «schizophréniques», en raison de «l’existence durable» d’injonctions contradictoires adressées aux agents de l’opérateur (faire de la qualité et de la quantité) mais aussi aux personnes inscrites à France Travail (chercher des emplois qui n’existent pas en assez grand nombre).
Résultats : des «crises de pleurs» se produisent «très régulièrement» chez les agents de France Travail, et des «moments d’effondrement psychique plus inquiétants», comme des burn-out ou des dépressions, sont aussi évoqués par les participants à l’enquête. Certains conseillers citent même des cas de suicides dans leurs rangs. Il faut dire qu’il s’agit d’un métier «où l’on échoue beaucoup, ne serait-ce qu’en raison de l’équation insoluble entre nombre de demandeurs d’emploi et nombre d’emplois disponibles», déclarent les auteurs de l’étude. Et ce, «sans compter la confrontation à ce qu’il y a de plus pénible en termes de souffrance sociale (licenciement, exclusions, décompensations liées aux situations de travail antérieures, grande précarité). Cette impuissance peut vite devenir insupportable», soulignent-ils.
Accompagner les demandeurs d’emploi, «parfois en grandes difficultés», est «effectivement un métier difficile», admet la direction générale de l’institution. «C’est pourquoi France Travail place la qualité de vie au travail de ses agents au cœur de sa politique sociale. Agents et managers sont régulièrement accompagnés sur les questions de qualité de vie au travail, incluant les notions de gestion de la charge de travail, de santé au travail, etc. (...) La prévention des risques psycho-sociaux est une priorité pour France travail, et des dispositifs d’écoute et d’évaluation des risques sont en place, comme Ma ligne d’écoute, dispositif d’aide et de soutien psychologique disponible 7j/7 et 24h/24 pour tous les agents», rappelle-t-elle.
Pour ne rien arranger à cette situation, les agents doivent également faire face à une «précarisation de l’emploi» au sein de l’institution, «quelle que soit l’agence», peut-on lire dans l’étude. Ainsi, les conseillers ayant participé à l’enquête insistent sur le fait que France Travail serait «une structure qui crée de la précarité», en raison, d’abord, du recours accru à des CDD ou des contrats de service civique pour réaliser des activités au sein-même des agences de proximité de l’opérateur. Les trois chercheurs évoquent ainsi l’exemple d’une agence comptant 60% d’agents considérés comme «précarisés».
Mais les sondés insistent sur le fait que ce mouvement touche aussi les demandeurs d’emploi accompagnés. Ils regrettent que France Travail fasse la promotion auprès des chômeurs de statuts d’emploi étant considérés comme des contributeurs à la «précarisation sociale». Les auteurs de l’étude citent un exemple : la publication par l’ex-Pôle emploi, en 2019, d’offres d’emploi chez Uber, qui recrute sous le régime d’auto-entrepreneur, alors qu’«on connaît les problèmes sociaux et juridiques que ce statut pose actuellement», estiment-ils. Autre «forme de contribution» de France Travail aux processus de précarisation sociale, selon les trois sociologues : «sa promotion directe de formes d’emploi salarié aux protections dégradées pour les demandeurs d’emploi, avec des situations éthiquement limites.» Des conseillers ont par exemple évoqué le recrutement de demandeurs d’emploi sur des contrats de cinq mois et demi, «c’est-à-dire juste en dessous des six mois qui donnent droit à indemnisation (chômage, NDLR) depuis la réforme de 2019», dénoncent les auteurs de l’étude.
Pour la direction générale de France Travail, qui rappelle que d’après son dernier baromètre interne de mars 2024, 73% de ses agents sont fiers de travailler pour l’établissement et que 70% recommanderaient l’opérateur comme employeur à leur entourage, «l’accompagnement personnalisé est au cœur du projet de France travail. Chaque jour, nos 55 000 agents se mobilisent pour accompagner et conseiller les demandeurs dans leur parcours vers le retour à l’emploi. Affirmer que France Travail “crée de la précarité” jette donc le discrédit sur l’action quotidienne de ces agents, et décrédibilise les constats de cette enquête»
Source : https://www.capital.fr/economie-politique/france-travail-une-structure-qui-cree-de-la-precarite-pour-ses-salaries-et-les-chomeurs-1501249