ASSURANCE CHÔMAGE : AU RAPPORT !
Depuis la fin 2017, les partenaires sociaux n’ont plus la main sur les règles de l’assurance chômage. L’État a pris les rênes en s’appuyant sur des lois et des décrets. Entre autres arguments, cette prise de contrôle a été justifiée par l’idée que la gestion paritaire du régime aurait été défaillante et que l’État ferait bien mieux.
Le degré zéro de la gouvernance
Depuis la création de l’Unedic en 1958, cette mise à l’écart des partenaires sociaux est la deuxième du genre. Mais contrairement à la parenthèse de 1979 à 1984, celle-ci ne résulte pas d’une « carence », c’est-à-dire de l’absence d’accord entre organisations de salariés et d’employeurs. Au contraire, en 2017 les partenaires sociaux étaient parvenus à un accord, certes perfectible, mais agréé par l’État et qui n’avait rien d’une impasse de gestion ni de gouvernance.
Du côté de problème, les défaillances de gouvernance et de gestion de l’Unedic n’ont jamais été précisément documentées (la dette, le déficit) ; a fortiori en quoi ces défaillances auraient été consubstantielles à la nature paritaire du régime.
Du côté de la solution en revanche, le bilan de l’État était plus que désastreux : sa gestion du « régime de solidarité » durant trente ans avait produit plus de dettes que l’Unedic (alors même qu’il gérait 10 fois moins de prestations, tout en ne supportant pas les mêmes charges, financement du service public de l’emploi, transferts aux secteurs du spectacle, etc.) au point de devoir supprimé de fonds suite à un rapport accablant de la Cour des comptes. L’état ne respectait pas la loi, n’avait même pas pris la peine de dresser une liste des contributeurs, etc. creusant un trou comblé par des transferts budgétaires –donc le contribuable, grâce une gouvernance parfaitement opaque. Bien loin d’une bonne pratique… (pour une analyse comparée des gouvernances paritaire et étatique cf. « Quelle gouvernance pour l’assurance chômage ? »)
La bonne gouvernance se mesure d’abord aux actes les plus simples, et notamment le respect des règles par soi-même édictées. Or une disposition créée en 2014 et réaffirmée par la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, prévoit que le gouvernement transmet chaque année au parlement et aux partenaires sociaux de l’Unedic un « rapport sur la situation financière de l'assurance chômage » (Code du Travail, art.L5422-25), précisant notamment les mesures mises en œuvre pour contribuer à l'atteinte de l'équilibre financier à moyen terme, et les dérives éventuelles par rapport à la trajectoire financière prévue.
Jamais aucun de ces rapports n’a été publié.
Trajectoire financière : zigzags dans le noir
Et justement les décisions prises par l’État susceptibles d’influencer la trajectoire financière du régime au cours des années récentes ont été très nombreuses et lourdes de conséquences : suppression des cotisations salariales au profit d’une hausse de la CSG dès le début 2018, intégration de cotisations employeurs dans les allégements généraux de cotisations, accroissement du prélèvement au profit de Pôle Emploi, renforcement du contrôle et des sanctions, durcissement des conditions d’éligibilité, réduction de la période de référence sur laquelle sont recherchés les droits, modification du salaire de référence servant au calcul de l’allocation, réintroduction de la dégressivité des allocations, bonus-malus, baisse de 25% de la durée des droits en contrepartie d’un hypothétique complément de fin de droits, mise à la charge de l’Unedic du tiers des dépenses d’activité partielle, dérive du financement du régime des frontaliers, etc. pour ne citer que les plus emblématiques.
C’est certain : toutes ces décisions ont eu, ont, et auront un impact sur la trajectoire financière du régime. Les rapports annuels auraient dû informer le débat public sur les enjeux et les résultats des décisions prises, sur le bien-fondé des dépenses mise à charge du régime, et sur l’efficience des règles mises en œuvre.
Cadrage étriqué, négociation contrainte
L’absence de rapports annuels est donc fâcheuse en elle-même. Mais elle va aussi conditionner la négociation à venir : en effet ce n’est pas pour rien que la loi prévoit que le « document de cadrage » de la négociation (Code du Travail art.L5422-20-1) doit être écrit en référence à la trajectoire financière et aux facteurs qui la déterminent.
Si tel n’est pas le cas, ledit document est forcément ciblé sur certains aspects et pas d’autres, tronqué, et la négociation biaisée puisque tous les leviers pertinents ne peuvent alors être utilisés : en effet, si les partenaires sociaux parviennent à un accord qui s’appuie sur des leviers exclus du périmètre défini par le document de cadrage, le gouvernement a la possibilité de constater une carence, et donc ignorer l’accord pour à nouveau gouverner par décret.
Le risque inhérents à la torsion des procédures ne sont pas nuls : déjà mi-2022, l’État n’avait respecté aucune des étapes de gouvernance par lui définies (rapport, concertation, document de cadrage, négociation) à l’approche de la date d’échéance des règles au 1er novembre 2022 (cf. mon post à ce propos « Assurance chômage ça (re)commence mal »). Alors, n’hésitant pas à se prévaloir de ses propres turpitudes, le gouvernement avait lancé à l’automne 2022 une loi dite « d’urgence » au prétexte que les allocations chômage ne pourraient plus être payées à partir de cette date ! Prétexte captieux, comme chacun a pu l’observer, car même si la loi a été votée avec retard, les allocations ont été payées sans problème jusqu’à la mise en œuvre des nouvelles règles en février 2023.
Réelle ou fictive, l’urgence législative n’avait rien d’anodin (Code du Travail, art.L1) : elle permettait de se passer de document d’orientation (donc d’un diagnostic), et d’une concertation préalable avec les partenaires sociaux. Or comme on l’a vu pour les retraites, une véritable débat ne peut commencer que lorsque les données et le diagnostic qui fondent les propositions des uns ou des autres sont rendus publics.
Au rapport !
Ces jeux de dupes ne servent absolument personne, et surtout pas les assurés, le bon fonctionnement du marché du travail, l’économie, ni même l’intérêt général : pourquoi ne pas faire de vrai rapport annuel sur la gestion de l’assurance chômage ? pourquoi pas de diagnostic complet et équilibré des problèmes qui se posent ? pourquoi des solutions justifiées par des extraits opportuns de littérature économiques, quand d’autres justifieraient des dispositions contraires ? etc.
Le seul gain identifiable est pour le budget de l’État, puisque c’est l’Unedic qui doit payer des factures indûment mises à sa charge par l’État (Financement de Pôle Emploi, frontaliers, activité partielle, subventions aux secteurs du spectacle, etc.) au détriment des droits, tout en pesant sur le coût du travail marchand.
L’assurance chômage a renoué avec les excédents, mais elle ne va pas bien pour autant. Les interventions des années récentes ont produit des économies massives, mais elles ont un peu plus fragilisé la cohérence de l’ensemble, considérablement complexifié les règles, et souvent substitué une inefficacité à une autre. Une remise à plat est nécessaire et elle ne peut se faire que sur la base d’un diagnostic complet, transparent qui permette un débat public fructueux. La publication du rapport gouvernemental est pour cela un préalable indispensable.
Source : https://blogs.alternatives-economiques.fr/coquet/2023/06/07/assurance-chomage-au-rapport