Décimer les chômeurs, la méthode du gouvernement pour le plein-emploi !

chomage

 

Y a-t-il des études qui donnent raison au gouvernement qui entend à nouveau, pour encourager l’emploi, réduire massivement les droits des salariés en matière d’assurance chômage ?

La réponse la plus commune est – à juste titre – qu’il existe beaucoup d’incertitudes. Certaines études répondent plutôt positivement. D’autres aboutissent à des résultats très réservés. Les économistes seraient donc « partagés » et donneraient raison tour à tour au gouvernement ou à ceux qui s’opposent à sa réforme.

Ce qui est surprenant dans la question « des études » c’est qu’elle n’insiste que sur un résultat – « créer de l’emploi » ou faire « baisser le chômage » – en occultant la question des moyens pour y parvenir. Implicitement, c’est considérer que la fin justifie n’importe quel moyen. A moins d’avoir un rapport religieux au plein-emploi, il convient pourtant de rapporter les bénéfices aux coûts, et les moyens mis en œuvre aux finalités poursuivies.

Un bazooka pour écraser une mouche

De ce point de vue, il suffit d’écouter les autrices des études mobilisées par le gouvernement pour se convaincre que le coût social est disproportionné au regard de la faiblesse du gain espéré.

Citons d’abord Daphné Skandalis, enseignante à l’Université de Copenhague, qui explique qu’« en durcissant les conditions d’éligibilité ou encore en révisant à la baisse le taux de remplacement, on obtient un petit effet sur la durée de chômage des assurés concernés. En Europe, une dizaine d’études évaluent l’effet médian à quatre jours pour un mois d’allocation ». Un bazooka est donc nécessaire pour écraser une mouche : une baisse des droits d’un mois pour une reprise d’emploi accélérée de quatre jours. Par ailleurs, précise-t-elle, il convient d’ajouter au coût social une « qualité de l’emploi » détériorée.

Mais c’est surtout Alexandra Roulet dont il convient d’écouter attentivement les propos. L’ancienne conseillère à Matignon et à l’Elysée est également l’autrice de la principale étude sur laquelle s’appuie le gouvernement pour justifier la baisse des droits. Persuadée que réduire les droits permet de créer des emplois, elle considère toutefois qu’il faut être attentif à l’équilibre entre l’effet « positif » de la réforme, le « renforcement des incitations à trouver les emplois » et ses deux effets négatifs : la mauvaise qualité de l’emploi retrouvé d’une part, « la pauvreté pour des gens qui se trouveraient sans emploi et se retrouveraient non indemnisés » d’autre part.

Peut-on mesurer ces effets ? A ce jour, on ne dispose d’aucune évaluation sérieuse. Néanmoins, les chiffres avancés par le gouvernement, quoique non sourcés, permettent de s’en faire une première idée.

Du côté des « incitations », le gouvernement avance le chiffre de 90 000 emplois vacants qui retrouveraient preneurs grâce à la réforme.

Du côté du coût social, ce sont 3,6 milliards d’euros d’économies qui sont anticipés par le gouvernement soit un ordre de grandeur de 10 % des allocations servies par l’Unedic (35 milliards d’euros en 2023). On peut raisonnablement penser, comme le fait l’économiste Michaël Zemmour, que la proportion de personnes qui seront exclues des allocations servies par l’assurance chômage représente également un ordre de grandeur de 10 % soit un chiffre de l’ordre de 200 000 à 300 000 personnes.

Il faut prendre la mesure de ce que signifient ces chiffres. La stratégie presque avouée du gouvernement est de parvenir à inciter 90 000 personnes à accepter un emploi dont elles ne voulaient pas a priori en privant 200 000 ou 300 000 personnes de toute ressource.

En est-on là ? En est-on à accroître le nombre de pauvres de plusieurs centaines de milliers de personnes pour convaincre quelque 90 000 personnes de prendre un emploi qu’elles auraient refusé sans cette menace de se trouver sans revenu ?

Une décimation à la romaine

Dans la légion romaine, pour punir les soldats qui refusaient d’affronter l’ennemi et motiver les autres, on pratiquait la décimation : un soldat sur dix, désigné de façon aléatoire, était exécuté. Mutatis mutandis, c’est le type de management des salariés que le gouvernement entend emprunter en privant de toute ressource, pour l’exemple, un chômeur indemnisé sur dix (autrement dit des centaines de milliers de personnes) pour « motiver » quelques salariés au chômage d’accepter ces « emplois vacants » dont personne ne veut.

Au sens le plus littéral, décimer les allocataires de l’assurance chômage est la dernière idée du gouvernement pour lutter contre le chômage. On pourra lui concéder qu’en effet, ça, on n’avait jamais essayé.

Ce plein-emploi précaire et sans droits est-il vraiment désirable ? Pour qui l’est-il à part pour le gouvernement qui pourra s’enorgueillir de « chiffres » du chômage plus flatteurs ? Il n’est certainement pas désirable pour la portion minoritaire des salariés qui retrouveraient un emploi dont ils n’auraient pas voulu en l’absence de menace.

Certainement pas non plus pour la portion beaucoup plus importante des salariés au chômage pour laquelle le bilan sera purement et simplement de passer d’un chômage indemnisé au RSA ou à l’absence de toute ressource. Comment le gouvernement peut-il assumer cette politique des « fusillés (sociaux) pour l’exemple » ?

Les défenseurs de la réforme, à l’instar de Catherine Vautrin, expliquent qu’il s’agit de faire le bonheur des chômeurs malgré eux : selon elle « l’émancipation passe par l’emploi et ce n’est pas une liberté de bénéficier d’allocations chômage ».

Un mauvais emploi vaut donc mieux qu’aucun emploi. Cette représentation surplombante et condescendante des salariés au chômage, si elle était vraie, serait déjà problématique. Mais la politique proposée ne consiste en rien à faire le bonheur de 90 000 salariés malgré eux en leur agitant sous le nez – et seulement sous le leur – le spectre de la perte de droits. Il s’agit de priver 200 000 ou 300 000 personnes de toute ressource pour organiser une menace susceptible d’en convaincre seulement le tiers de reprendre ces emplois.

L’exécutif pense-t-il que les salariés n’ont pas suffisamment conscience des périls de la pauvreté pour leur vie ? Est-il bien nécessaire d’en rajouter ? Considère-t-il que davantage de pauvreté, davantage d’expulsions locatives, davantage d’interdits bancaires, davantage de SDF dans nos métros et dans nos rues est vraiment ce dont la société française a besoin pour se convaincre d’aller vers le plein-emploi ?

Est-il nécessaire de grossir encore les rangs des sans droits et sans ressources pour convaincre les salariés de l’impérieuse nécessité, pour vivre et faire vivre dignement les leurs, de « traverser la rue » ?



07/06/2024
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