Officiellement, Pôle emploi voit les sites privés consacrés à l'emploi non comme des concurrents, mais comme des compléments. Les acteurs qui développent des offres de mise en relation des employeurs potentiels et des chômeurs n'ont pas le même avis. Pour nombre d'entre eux, Pôle emploi ne joue pas le jeu de la coopération et protège son pré carré du placement. Absurde alors la bataille pour l'emploi devrait être sans concession.

 

Certes, l'agence nationale a pris en compte l'arrivée de nouveaux acteurs. En 2012, elle a lancé un appel à projets pour les intégrer dans son dispositif. C'est ainsi que Jobi Joba, un Google de la recherche d'emploi, a emporté l'un des lots. Cette société agrège les offres de 400 sites : les grands du secteur que sont Monster ou Regionsjob.com, les intervenants spécialisés comme Cadremploi, ou les offres de niche destinées à l'aéronautique ou au paramédical. Elle référence, trie et classifie actuellement un million d'offres, soit 95% du marché. Sa mission consiste désormais à fournir à Pôle emploi des offres supplémentaires : en moyenne, un roulement de 160000 postes, partagés volontairement par les sites privés référencés.

 

«Ce sont souvent des offres difficiles à pourvoir, à faible valeur ajoutée, pas celles sur lesquelles les employeurs sont prêts à investir de grosses sommes, explique Thomas Allaire, le PDG et fondateur de Jobi Joba. Il est, en effet, gratuit de déposer une offre chez Pôle emploi, mais pas chez les grands acteurs privés.» Ceux-ci facturent entre 600 et 1000 euros la prestation sur l'emploi qualifié et ils gardent donc précieusement ce Graal sur lequel ils peuvent revendiquer un savoir-faire. C'est là qu'apparaît un premier biais. Si Pôle emploi veut bien relayer les offres recueillies par d'autres, elle garde jalousement les siennes. Selon Thomas Allaire, Jobi Joba ne peut livrer aux chômeurs que... 3000 offres sur la totalité des 130000 concentrées par Pôle emploi, alors qu'il propose de les diffuser gratuitement et de leur donner de la visibilité !

 

L’explication, Stéphanie Delestre, fondatrice du site Qapa, qui propose un système d’identification des compétences des demandeurs d’emplois afin de leur envoyer des propositions en « push », la connaît : « Quand j’ai découvert que Pôle emploi verrouillait ses offres plutôt que de les ouvrir en open data pour permettre à des acteurs privés de les pourvoir, j’ai été scandalisée. Ces offres ne lui appartiennent pas, sont mal exploitées, et n’ont aucune valeur telles quelles : les conseillers ont en moyenne 120 dossiers à traiter, sans possibilité de faire des croisements informatiques. Pôle emploi se prive des possibilités fantastiques de « matching » offertes par les technologies numériques. L’Agence protège et se crispe sur sa mission de reclassement des chômeurs, qu’elle exécute pourtant mal. Elle pourrait se concentrer davantage sur des missions d’indemnisation et d’aide aux personnes en difficulté, et laisser de nouvelles méthodes faire leurs preuves. Cela ne coûterait pas un centime au contribuable ! Cette volonté de garder le contrôle est dommageable et empêche au marché de retrouver une fluidité. Alors qu'au fond, tous les agents de Pôle Emploi savent que ce qui est important, c'est que leurs usagers retrouvent du travail.»

 

http://www.lopinion.fr/11-fevrier-2015/face-prive-pole-emploi-protege-pre-carre-21246