Le CSE des Hauts de France vote une "expertise risque grave" avec la mise en oeuvre de la 2ème partie de la réforme de l'assurance chômage

Résolution « expertise risque grave » du CSE HDF

 

Au 1er avril 2020, la deuxième partie de la réforme de l’assurance chômage va être appliquée sur tout le territoire. Plus de 40 % des demandeurs d’emploi pourraient subir des conséquences négatives de la réforme, selon les estimations de l’UNEDIC dans son rapport d’impact. Le gouvernement lui-même, par la voix de sa Ministre du travail, confirme : « oui, les règles sont plus dures ». 

(Extrait de la note d’impact publiée par l’UNEDIC, septembre 2019)

« Au cours de la première année de mise en œuvre de l’ensemble des mesures liées à l’indemnisation, d’avril 2020 à mars 2021, parmi les 2,65 millions de personnes qui auraient ouvert un droit avec les règles 2017, on estime que :

  • 50% ne seront concernées par aucun des changements de règles (dont 7% du fait d’une fin de contrat de travail antérieure au 1er avril 2020).

Les autres se répartissent comme suit :

  • 9% n’ouvriront aucun droit au cours de cette première année, car elles n’atteignent pas 6 mois d’affiliation ;
  • 16% seront affectées uniquement par la modification du calcul du salaire journalier de référence (SJR) et connaitront une baisse de leur allocation journalière nette de 20% en moyenne ;
  • 12% ouvriront un droit mais plus tard (5 mois plus tard en moyenne), car elles ne réunissent pas immédiatement les 6 mois nécessaires ; elles seront aussi impactées par la modification du calcul du salaire journalier de référence (SJR).
  • 11% ouvriront un droit à la même date mais plus court (de moins d’un mois pour la moitié d’entre elles) car une partie de leur affiliation ne sera pas prise en compte du fait de la réduction de 28 à 24 mois de la période de référence d’affiliation ; 8% d’entre elles connaitront aussi une baisse de leur SJR ;
  • 2%, qui ont moins de 57 ans, connaitront une dégressivité de leur allocation si elles consomment plus de 6 mois de leur droit. »

Un exemple concret nous permet de bien mesurer l’ampleur de l’impact :

  • Jusqu’au 31 mars 2020, selon le régime actuel, pour un demandeur d'emploi qui travaille 6 mois payés 1 500 euros par mois sur une période de 12 mois, la situation permet un ratio entre salaire et nombre de jours travaillés avec gel des périodes non travaillées pour calculer le montant de l’allocation. Dans cette situation, le demandeur d'emploi peut prétendre à 6 mois d’indemnisation à 850 euros par mois.
  • A partir du 1er avril 2020, dans le futur régime, pour un demandeur d'emploi qui travaille 6 mois payés 1 500 euros par mois sur une période de 12 mois, le calcul intégrera les 365 jours de la période, travaillés et non travaillés. Pour un même montant de salaire et une même durée de travail, le montant de l’allocation sera de 500 euros.

Jacqueline Maquet, députée LREM du Pas de Calais, dans sa question 24686 « attire l’attention de Madame la ministre du travail sur l’inquiétude que la réforme de l’assurance chômage suscite dans les territoires tels que le Nord Pas de Calais.  Sur ce territoire, séjourne en effet, une large population de demandeurs d’emploi. Parmi eux, un public particulièrement précaire sera nécessairement concerné par la réforme ». 

Nous confirmons qu’une forte partie du public que nous accompagnons est constituée de travailleurs saisonniers, de travailleurs intérimaires et plus généralement de travailleurs précaires. Les chiffres du chômage hors catégorie A le démontrent.

Entre juillet et septembre 2019, les représentants du personnel aux CHSCT Nord Pas de Calais et Picardie ont fait la démonstration par le biais de 2 expertises « risque grave » de l’ampleur des RPS auxquels sont exposés les salariés de Pole emploi HDF. Les diagnostics ainsi établis démontrent une dégradation des conditions de travail n’ayant pas toujours pas fait l’objet d’une réponse de la Direction. Inévitablement, cette dégradation des conditions de travail constitue un préalable à la réforme qui n’est pas pris en compte dans les travaux de la direction.

Plus particulièrement, trois des six dimensions de RPS définies par le collège d’expertise présidé par Michel Gollac en 2011 sont impactées par cette réforme :

  • Les exigences émotionnelles :

(Extrait du rapport d’expertise Gollac)

« Elles sont souvent liées à la relation au public, quel qu’il soit (clients, élèves, patients, auditeurs, etc.). Elles sont particulièrement élevées pour les personnes en contact avec la souffrance. Devoir cacher ses émotions est également exigeant. On peut associer aux exigences causées par le travail émotionnel celles causées par la nécessité de faire face à la peur et de maîtriser celle-ci : la peur peut être celle de l’accident, de la violence ou de l’échec.

Variables clés : rapport avec le public, situations de tension, contact avec la souffrance et les exigences qu’il entraîne, possibilités d’agir efficacement vis-à-vis de cette souffrance, dissimulation et simulation des émotions, peur de l’accident, survenue effective de violences externes.

Variables complémentaires : crainte de violences externes, peur de l’échec ».

La réforme va multiplier les difficultés pour les salariés de Pôle emploi. Ils vont, bien plus que par le passé, être exposés aux situations de souffrance vécue par les personnes privées d’emploi pour qui la réforme va renforcer les difficultés économiques. Ces situations de souffrance vont s’exprimer par du désarroi et du désespoir (souvenons-nous du cas de monsieur Chaab qui s’est immolé devant une agence Pole emploi de Nantes alors qu’il était en fin de droits). Dans bien des cas, la souffrance des demandeurs d’emploi est propice au développement de situations de violence, verbales ou physiques, auxquelles seront exposées les salariés.

  • La souffrance éthique :

(Extrait du rapport d’expertise « Gollac »)

« La souffrance éthique est celle ressentie par une personne à qui on demande d’agir en opposition avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles (conflit de valeurs). L’opposition peut concerner le but du travail à réaliser, mais aussi les effets secondaires de celui-ci ou encore les résultats atteints en pratique compte tenu des contraintes pesant sur le travail. Elle peut prendre la forme du conflit éthique : le travailleur a le sentiment de devoir accomplir des actes immoraux. »

Cette dimension va impacter fortement les conseillers placement et indemnisation. Ces derniers vont orienter les privés d’emploi vers l’acceptation d’emplois de courtes durées qui vont les pénaliser financièrement en raison des nouvelles règles de la réforme. Les salariés vont se retrouver très régulièrement face à des conflits de valeur : la réforme et Pôle emploi les poussent à travailler d’une manière qui n’est pas conforme avec le meilleur intérêt du demandeur d’emploi. La connaissance des conséquences financières, d’un renforcement éventuel de la précarité de ces personnes, est une source de souffrance éthique importante.

  • Insécurité de la situation de travail 

(Extrait du rapport d’expertise « Gollac »)

« Par ailleurs, des incertitudes susceptibles de créer une insécurité peuvent porter sur différents aspects de la situation de travail : avenir de la tâche, du métier, des relations sociales, des conditions de travail. Les craintes peuvent être motivées par l’expérience de changements incessants ou incompréhensibles. »

La réforme de l’assurance chômage va inévitablement tendre les relations entre certains usagers et leur conseiller, placement comme indemnisation. Les relations sociales et les conditions de travail vont donc être fortement impactées.

Dans les sites de Pôle emploi, toutes les catégories de personnels vont être confrontées à des difficultés. Les conseillers placement qui tiennent les postes d’accueil, d’animation de zone et de suivi de portefeuilles de privés d’emploi (en présentiel, téléphonique ou par email) seront particulièrement exposés aux risques. La difficulté à comprendre l’impact de la réforme va amener une recrudescence des sollicitations par tous les canaux évoqués. De surcroît, ces sollicitations proviendront de personnes en situation de détresse et donc susceptibles de manifester leur hostilité à travers des incivilités, voire des violences. L’animation d’ateliers en vue d’expliquer la réforme aux demandeurs d’emploi constitue une autre situation de travail où les salariés seront spécialement exposés. Concernant les psychologues du travail, comment pourront-ils travailler sereinement sur l’orientation avec des usagers dont les problématiques économiques seront exacerbées ? Les managers seront fortement impactés par la régulation des situations de conflits qui ne manqueront d’exploser dans les sites.

De nombreuses agences déploient actuellement le modèle Agence de demain (ADD). Ce modèle qui renvoie les demandeurs d’emploi vers leur propre autonomie en les accompagnant vers les espaces de libre accès n’est pas adapté à l’accueil de flux important ni à une gestion de situations conflictuelles. Le poste traditionnel d’accueil disparaît et les salariés se retrouvent projetés au sein du public. Il s’agit d’une situation de travail nouvelle avec des outils peu adaptés. Mais surtout, les salariés y sont fortement exposés aux phénomènes d’incivilité et de violence (cf. chiffres ci-après). Les fiches LISA, qui servent à déclarer les agressions, sont au nombre de 239 sur la région HDF, dont 4 qualifiées en agressions physiques, pour les 5 premières semaines de 2020.

Conscients des risques évoqués précédemment, les conseillers de la région présentent actuellement une forte anxiété face à la perspective de la réforme. Cette anxiété n’est pas prise en compte dans les actions prévisionnelles de l’employeur et n’est pas traitée dans les premières formations dispensées. Ces formations apportent peu ou pas de réponses aux besoins du personnel (on y répète la réforme, sans réponses opérationnelles à apporter aux bénéficiaires en situation de détresse, sans développement de bonnes pratiques). L’ampleur de cette anxiété dégrade la santé mentale des salariés et constitue un risque grave touchant les salariés du réseau (sites et plateformes) de la région HDF.

Pour ces raisons, les élus du CSE décident de recourir à une expertise agréée conformément aux dispositions du Code du travail (C.Trav.art.L2315-94).

 

Vote de la résolution : 28 votants   

Pour : 22  (SNU-CGT-FO-CFTC-SNAP-CGC)            Abstentions : 6  (CFDT)

 

La direction se réserve le droit de contester cette expertise (condition du risque identifié et actuel non rempli).

 

Pour conduire cette expertise, les élus du CSE désignent le cabinet ARETE – 3/5 rue de Metz – 75010 Paris, expert agréé par le ministère du travail.

L’expert aura pour mission :

  • l’analyse des situations de travail afin d’établir un diagnostic des facteurs déclencheurs de RPS et de la manière dont ils contribuent à l’anxiété des salariés ;
  • la formulation de propositions de prévention des risques professionnels

 



28/02/2020
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