L’économiste Thomas Piketty au JDD : « Emmanuel Macron ment aux Français » – Le Journal du dimanche

 

L’économiste Thomas Piketty au JDD : « Emmanuel Macron ment aux Français » 

Avec près de 170 économistes, vous avez signé une tribune de soutien au programme économique de la Nupes. Pourquoi ?

Je précise d’emblée que je ne suis membre d’aucun parti, qu’aucun programme n’est parfait, et que chacun soulève des questions. Il reste que celui de la Nupes est le seul à proposer un plan d’investissement dans l’écologie, la santé, l’éducation, financé non pas par l’inflation ou la dette, mais par les plus hauts revenus et patrimoines. Ce choix assumé reste le seul permettant de limiter la hausse des prix tout en finançant les revalorisations des soignants, des enseignants, des bas salaires ainsi que la transition écologique. Les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur richesse passer de 200 à 1 000 milliards d’euros entre 2010 et 2022, c’est-à-dire de 10 % à 40 % du PIB ! C’est sans commune mesure avec l’évolution des salaires. Il faut rééquilibrer les choses.

Que vous inspirent les critiques sur son manque de crédibilité ?

Ce programme est beaucoup plus sérieux budgétairement que celui d’Emmanuel Macron

. En prétendant que personne ne paiera le quoi qu’il en coûte, Macron ment aux Français. Car les plus pauvres le financent déjà via l’inflation. Au passage, le président affirme réduire les impôts alors qu’il a prolongé de dix ans la contribution pour le remboursement de la dette sociale, soit 70 milliards qui pèseront sur les revenus des Français. L’inflation est l’impôt déguisé de Macron. Elle joue comme une taxe de 5 % qui frappe la consommation quotidienne, mais aussi la petite épargne de ceux qui ont travaillé dur. Face à cela, la Nupes est plus transparente en annonçant un impôt progressif pour les plus riches, sur les patrimoines, les successions. Évidemment, ça n’est jamais agréable d’en payer plus. Mais le sérieux budgétaire commande de dire la vérité aux Français. L’endettement ne peut être éternel. Les priorités sociales, il faut les financer par l’impôt, le plus juste possible.

Ça n’est pas Mélenchon qui a créé l’inflation !

Le think tank Terra Nova accuse la Nupes de vouloir prendre en otage la zone euro pour financer son programme. Que répondez-vous ?

Je suis frappé par leur incompétence économique. Le programme de la Nupes prévoit des hausses de dépenses publiques à hauteur de 250 milliards par an à la fin du quinquennat. Actuellement, nous sommes autour de 1 400 milliards de dépense publique. On parle donc d’une augmentation de moins de 20 % sur cinq ans, dans un contexte d’inflation inédit qui atteint actuellement 5 % par an. En réalité, cela permet simplement de maintenir le niveau réel de la dépense publique et d’éviter des pertes de pouvoir d’achat pour les infirmières et les enseignants. Il faudrait laisser les salaires décrocher ? Nous avons changé de monde, ceux qui critiquent devraient ouvrir les yeux. Ça n’est pas Mélenchon qui a créé l’inflation !

Bloquer les prix alors que la mesure profitera à tous y compris aux plus riches et aux produits importés, n’est-ce pas contradictoire ?

Il faut regarder l’étendue des biens concernés et prévoir des négociations avec les producteurs. S’agissant de l’énergie, on aurait dû passer depuis longtemps à un système de prix régulés. Avoir des tarifs qui font le yoyo tous les six mois, c’est catastrophique pour les ménages et inefficace d’un point de vue climatique. Vu sa capacité d’emprunt, l’État a les moyens d’encaisser ces chocs à la hausse et à la baisse.

Il faut créer une contribution généralisée sur la fortune sur le modèle de la CSG

Interdire les licenciements dans les entreprises qui versent des dividendes ou touchent des aides publiques, c’est réaliste ?

Oui mais plus généralement, nous avons besoin de davantage de négociation. La Nupes propose d’augmenter fortement la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration en leur réservant entre un tiers et la moitié des sièges. Pour moi, c’est la mesure la plus importante du programme. Car elle oblige chacun à être constructif. L’Allemagne et la Suède fonctionnent ainsi depuis les années 1950 et cela n’a pas empêché les entreprises d’être performantes, bien au contraire. Certains crient au bolchevisme alors qu’une telle idée incarne la social-démocratie. Dommage que les idéologues macroniens ne s’en rendent pas compte.

Augmenter les cotisations vieillesse pour financer la retraite à 60 ans, cela risque d’obérer le pouvoir d’achat ?

Il est temps de diversifier le financement de la protection sociale. Il faut créer une contribution généralisée sur la fortune sur le modèle de la CSG afin de faire participer les plus hauts patrimoines. Cela permettrait de financer la dépendance et le relèvement des pensions des plus modestes.

S’il suffisait de baisser les impôts pour devenir un pays prospère, les plus riches seraient la Bulgarie et la Roumanie

L’Institut Montaigne pointe un coût de 80 milliards d’euros par an…

Agiter des peurs irrationnelles face à l’arrivée de la gauche au pouvoir est un grand classique de l’histoire de France. Ce chiffrage est très contestable, il ignore notamment les économies faites sur l’assurance chômage. Dans la proposition de la Nupes, il faut 40 annuités pour avoir une retraite pleine. Pour ceux qui ont fait des études longues, il faudra donc attendre 63, 64, 65 ans, suivant l’âge d’entrée dans la vie active et les interruptions de carrière. Par contre, pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, par exemple à 20 ans, ils pourront partir à 60 ans, ce qui n’est que justice. Faut-il passer à 41 ou 42 annuités pour les plus hauts salaires ? Pourquoi pas. Mais pour ceux qui ont démarré tôt, 40 annuités, ça suffit. Avec Macron, c’est tout l’inverse. Ceux qui ont commencé à 20 ans devront cotiser 45 annuités pour pouvoir partir à 65 ans, alors que ceux qui ont commencé à 22 ans auront leur retraite pleine avec 43 annuités. La réforme Macron, c’est un impôt caché sur les Français ayant une faible espérance de vie. Ce scénario ne pourra jamais être accepté, on risque une crise des Gilets jaunes puissance 10.

Ne redoutez-vous pas une fuite des capitaux et des entreprises en les taxant plus ?​

Les entreprises réclament d’abord de la clarté, des investissements dans l’éducation, les infrastructures. S’il suffisait de baisser les impôts pour devenir un pays prospère, les plus riches seraient la Bulgarie et la Roumanie, qui ont un taux d’imposition parmi les plus faibles en Europe.

Source : https://www.lejdd.fr/Politique/leconomiste-thomas-piketty-au-jdd-emmanuel-macron-ment-aux-francais-4116953

 



17/06/2022
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