Les allocataires du RSA vont-ils vraiment être forcés à travailler ?
Le versement du RSA devrait être conditionné à 15 heures d’activité par semaine. Des dérogations sont prévues, mais la réforme questionne : va-t-on vers le travail gratuit ?
Le 23 octobre, Olivier Dussopt ne cache pas sa joie. Sur X (anciennement Twitter), le ministre du Travail s’exclame : « Très heureux que les députés et sénateurs aient trouvé un accord sur le Projet de loi (PJL) Plein Emploi ! [Un] meilleur accompagnement pour les demandeurs d’emploi et allocataires du RSA. »
Le même jour, sénateurs et députés réunis en commission mixte paritaire se sont accordés sur une version finale du texte, qui avant d’être promulgué, doit être adopté par les deux chambres. Au cœur du projet de loi, se trouvent la transformation de Pôle emploi en France Travail et le conditionnement du versement du revenu de solidarité active (RSA).
Depuis plusieurs mois, cette mesure phare crée des tensions. Concrètement, toutes les personnes sans emploi devront, d’ici 2025, s’inscrire à France Travail et signer un contrat d’engagement : pour toucher leur allocation mensuelle de 607 euros1, les bénéficiaires du RSA devront s’acquitter d’au moins 15 heures d’activités hebdomadaires. Le non-respect de l’engagement pourra conduire à une suspension, voire une suppression du versement de l’allocation.
Pour les allocataires non dispensés, la nature des activités reste encore floue. Sur le site du ministère du Travail, il est question « d’immersion en entreprise pour affiner son projet professionnel », « d’obtention du permis de conduire », de « démarches d’accès aux droits » ou encore de « participation à des activités dans le secteur associatif ».
Interrogée par Public Sénat ce 23 octobre, Pascale Gruny, sénatrice (LR) et rapporteuse du texte donne quelques pistes supplémentaires :
« Ça peut être des stages, aller en entreprise, valider un projet, de la formation, de l’information. Tout ce qui est fait par les missions locales. Ce n’est pas 15 heures de travail. Cela peut être aussi le permis de conduire, un accompagnement social ou un parcours de santé. »
Président de la commission des affaires sociales au Sénat, Philippe Mouiller (LR) complète :
« Ça peut être de l’accompagnement administratif, du temps donné à une collectivité, à une association, les prémisses d’un futur emploi aussi. C’est vraiment en fonction de la situation locale, de la capacité de la personne et de ses souhaits aussi. »
Travail gratuit ?
Dans une interview donnée au Télégramme le 21 octobre, Olivier Dussopt justifie la mesure :
« Nous devons franchir une marche dans l’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi. C’est l’objectif de notre réforme de l’accompagnement des allocataires du RSA. Quinze à vingt heures d’activité par semaine, ce n’est pas une lubie, c’est se donner les moyens d’accompagner réellement vers l’emploi ces publics qui en ont besoin [les allocataires du RSA]. »
Mais nombre de syndicalistes, politiques et universitaires ne partagent pas le constat. Au contraire. Beaucoup dénoncent un passage vers du travail gratuit.
« On inflige aux bénéficiaires du RSA une triple peine : être pauvres, être stigmatisés et être obligés de travailler gratuitement », s’insurge notamment Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. « Ne parlez pas de travail ! », répondait Olivier Dussopt aux députés de La France insoumise fin septembre, qui formulaient des critiques similaires dans l’Hémicycle.
« Même si c’est une activité qui n’est pas valorisée par le marché, faire traverser des enfants sur un passage clouté par exemple, c’est un travail » – Xavier Timbeau
En réalité, depuis la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI) en 1989, qui a été remplacé par le RSA en 2009, une contrepartie est demandée aux allocataires, rappelle Xavier Timbeau, économiste et directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sur France culture. « Vous devez discuter avec la CAF, vous manifester auprès de Pôle emploi, etc. »
Mais au fil des années, les discours politiques ont accentué la responsabilité individuelle des allocataires du RSA. Et aujourd’hui, en voyant les conditions requises, « il s’avère difficile de ne pas parler de travail », poursuit Maud Simonet, sociologue, chercheuse au CNRS et chroniqueuse chez Alternatives Economiques.
Car, reprend Xavier Timbeau, « même si c’est une activité qui n’est pas valorisée par le marché : faire traverser des enfants sur un passage clouté par exemple, ranger des cartons dans une entreprise, faire des photocopies, c’est un travail. Et un travail mérite une rémunération, il y a une rémunération minimale. C’est un terrain glissant juridiquement ».
Vers le workfare
Pour les chercheurs, ce glissement est le reflet d’une volonté plus large de l’exécutif, résumée par le chercheur Timothée Duverger, enseignant à Science Po Bordeaux, également chroniqueur pour Alter Eco :
« Cela participe d’une mutation importante de notre Etat-providence, désormais inscrit dans une logique de workfare Le terme workfare est issu de la contraction de work, travail, et welfare, comme dans welfare state, Etat-providence. consistant à soumettre l’assistance sociale aux objectifs d’emploi, avec pour corollaire des obligations liées à l’activité, passibles de sanctions sur le montant des allocations en cas de non-respect de celles-ci. »
Outre ce conditionnement du RSA, la réforme de l’assurance chômage, ou encore le contrôle des demandeurs d’emploi en seraient également de bonnes illustrations, complète Carole Tuchszirer, socio-économiste et chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) :
« On voit que la tendance est davantage d’aller dans le sens d’un renforcement des devoirs pour les allocataires, plutôt que des droits. »
Et cela pourrait avoir des effets négatifs : « Renforcer les sanctions, c’est prendre le risque de multiplier les situations de non-recours. Des gens qui, au bout du compte, finissent par déserter le service public de l’emploi », ajoute Carole Tuchszirer. Pour 2018, la Drees évaluait déjà que le non-recours concernait un tiers des foyers éligibles au RSA chaque trimestre.
Quant aux bénéficiaires qui ne déserteraient pas, la suspension de l’allocation – s’ils ne respectent ou ne peuvent atteindre les objectifs du contrat d’engagement – « pourrait conduire à [les] priver intégralement de ressources, les empêchant de subvenir à leurs besoins élémentaires », déplorait la Défenseure des droits, dans un avis publié en juillet.
Mais le gouvernement persiste et signe : ce projet de loi doit permettre de concrétiser l’objectif de réduire le chômage autour de 5 % d’ici 2027. A quel prix ?
La double peine des allocataires du RSA et 3 autres infographies à ne pas rater
1/ La double peine imposée aux bénéficiaires du RSA
Il ne fait pas bon être pauvre. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un scoop, mais la période actuelle est particulièrement rude pour les plus précaires, et notamment les allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Non seulement ces derniers vont devoir effectuer 15 heures d’activité par semaine pour prétendre à leur prestation en vertu du projet de loi pour le plein-emploi en passe d’être voté par le Parlement, mais ils doivent aussi se débattre avec un pouvoir d’achat en baisse. C’est ce que montrent Noam Leandri, président du collectif Alerte, et Pierre Madec, économiste à Sciences Po, dans une note pour la fondation Jean Jaurès.
Les deux auteurs ont calculé le « pouvoir d’achat du RSA » en corrigeant le montant de l’allocation de l’évolution des prix que subissent les 20 % de ménages les plus modestes (les statisticiens parlent de « l’indice des prix à la consommation des ménages du premier quintile »). Résultat, le montant du RSA s’élevait, en août, à 524 euros pour une personne seule. C’est 30 euros de moins qu’en août 2020.
« La perte de pouvoir d’achat des allocataires de minima sociaux pourrait entraîner 200 000 personnes sous le seuil de pauvreté officiel (à 60 % du niveau de vie médian) et 160 000 sous le seuil de grande pauvreté (à 50 % du niveau de vie médian) », poursuivent les auteurs grâce à d’autres calculs. Ils appellent donc à une revalorisation anticipée des minima sociaux, car pour le moment, le prochain rattrapage important n’est prévu qu’en avril 2024.
Vincent Grimault