Les cinq mauvaises idées du gouvernement pour faire baisser le chômage

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Face à la remontée du chômage, le gouvernement veut encore accélérer sa politique de l’emploi à tout prix, sans se préoccuper des conséquences sociales à moyen et long terme.

Vent de panique au sommet de l’exécutif ! Alors que l’Elysée, Bercy et la rue de Grenelle avaient pris la douce habitude de commenter des chiffres du chômage en baisse, la tendance s’est retournée. Lors des deux derniers trimestres, le taux de chômage a progressé de 0,3 point au total. A 7,4 % désormais, il s’éloigne de l’ambitieux projet qu’a fixé Emmanuel Macron pour la fin de son mandat (5 %).

A qui la faute ? Après avoir vanté pendant six ans sa propre politique pour expliquer la baisse, l’exécutif assure que le retour du chômage s’explique par une trop grande générosité du système social, qui n’inciterait pas assez à travailler. Pour le gouvernement, la philosophie consistant à durcir le recours aux allocations sociales et inciter les personnes sans emploi à (re)travailler le plus vite possible est la bonne. Elle n’est simplement pas allée assez loin.

Ce diagnostic tient-il la route ? Incontestablement, les signaux restent au vert : le taux de chômage, qui s’élevait à 9,5 % lors de son entrée à l’Elysée, affiche 7,4 % au dernier pointage. L’Hexagone compte désormais 21 millions d’emplois privés, soit 1,8 million de plus qu’en mai 2017.

Mais plusieurs éléments invitent à relativiser l’impact du locataire de l’Elysée. D’abord, la courbe du chômage était déjà orientée à la baisse depuis deux ans au moment de son arrivée en 2017.

Surtout, nombre de nos voisins ont fait mieux sur la même période. Avec un recul de 2,3 points du taux de chômage entre le printemps 2017 et celui de 2023, la France est pile dans la moyenne de l’Union européenne. Mais elle fait moins bien que la zone euro (- 2,7), l’Italie (- 3,5) ou encore l’Espagne (- 5,5).

Parmi les pays comparables, seules l’Allemagne (- 0,7) et la Belgique (- 1,7) ont fait moins bien que l’Hexagone, mais ces pays partaient d’un niveau de chômage plus bas. Bref, il n’existe pas « d’exception France », ni de validation par les chiffres d’une politique gouvernementale particulièrement efficace.

Malgré tout, le gouvernement compte accélérer les incitations à trouver un emploi à court terme, quitte à prendre des décisions néfastes sur le temps long. La preuve avec cinq inquiétantes pistes récentes.

1/ Raboter les droits des seniors chômeurs

Ne plus être le cancre de la classe européenne en matière de taux d’emploi des seniors est devenu une obsession du gouvernement. Il faut dire que l’élève France affiche des résultats médiocres : 57 % pour les 55-64 ans contre une moyenne de 62,4 % dans l’Union. Pire, le taux d’emploi des 60-64 ans français est inférieur de 12 points à celui de nos voisins européens. Et même lorsqu’on peut pousser un léger cocorico en matière de taux d’emploi des seniors (+ 0,9 point en 2022 par rapport à 2021), on avance toujours moins vite que les pays qui nous entourent (+ 1,8 point dans l’UE).

Inciter les plus âgés à rester en emploi sera donc à l’agenda des négociations qui vont s’ouvrir entre les partenaires sociaux pour se terminer mi-mars. L’issue des discussions est d’autant plus attendue qu’elle permettra à l’exécutif d’agréer ou pas l’accord sur l’assurance chômage signé en novembre entre les organisations patronales, la CFDT, FO et la CFTC. Ce dernier attend que les négociateurs détaillent précisément comment ils comptent atteindre les 440 millions d’économies promis sur l’emploi des seniors.

Pour « coller » à la réforme des retraites, les droits à l’assurance chômage des seniors seront très probablement décalés de deux ans. Les 55 ans et plus qui peuvent bénéficier d’une allocation maximale de 27 mois devront attendre 57 ans avant de pouvoir y prétendre. Idem pour les 53 et 54 ans, dont l’indemnisation est de 22,5 mois : ce seuil sera repoussé de deux ans.

Mais le gouvernement s’en contentera-t-il ? Si le ministre du Travail Olivier Dussopt a rappelé le 10 décembre sur France Inter qu’il n’était pas favorable à un raccourcissement de la durée d’indemnisation, ce n’est pas ce que prônait le ministre de l’Economie une semaine plus tôt. Pour éviter ce qu’il appelle les « préretraites Unédic », employeurs et salariés étant accusés de s’entendre sur le dos de la collectivité, Bruno Le Maire plaide pour un alignement de tous les demandeurs d’emploi sur les 18 mois du régime commun.

Peu avare de solutions, le locataire de Bercy propose également des temps partiels de fin de carrière à 80 % payés 90 %. Les plus de 55 ans pourraient y accéder tout en cotisant à 100 % pour la retraite. Olivier Dussopt avance de son côté la possibilité de renforcer la formation pour les seniors. Mais sur ces deux sujets qui iraient dans le bon sens, les deux ministres concernés n’expliquent pas comment financer de tels projets. Ce qui rend incertain leur concrétisation. Ce qui est acquis en revanche et qui serait appliqué en priorité, c’est un durcissement d’accès à l’indemnisation chômage.

Baisser les droits des chômeurs n’a jamais créé d’emploi. Mais cela peut entraîner de lourdes répercussions sur les premiers intéressés

Baisser les droits des chômeurs n’a jamais créé d’emploi. Mais cela peut générer des économies – nécessaires au financement des mesures de plein-emploi – et entraîner de lourdes répercussions sur les premiers intéressés. Les pénaliser ne va pas inciter les employeurs à garder, voire à embaucher des seniors. Victimes de leur âge, les plus de 55 ans passent en moyenne 713 jours au chômage, deux fois plus que les plus jeunes.

Faute de retrouver un boulot, ils iront encore grossir les rangs des ni en emploi, ni en retraite. Car pour jouir d’une hypothétique préretraite Unédic, encore faut-il être au chômage à 62 ans.

Une fois leurs droits épuisés, que deviendront les salariés de 57 ans qui se retrouveront à 59 ans sur le marché du travail ? Il leur restera peu d’espoir d’être embauchés et encore près de cinq ans à patienter avant d’ouvrir des droits à la retraite. Mais ils ne pèseront plus sur les finances de l’assurance chômage.

2/ Limiter les ruptures conventionnelles

Toujours dans cette quête effrénée d’incitation efficace au retour à l’emploi, Elisabeth Borne a lancé une petite bombe le 26 novembre dernier. Inquiète du nombre croissant de ruptures conventionnelles individuelles et du poids qu’elles font peser sur les finances de l’assurance chômage, elle a sommé son ministre du Travail de lui proposer des pistes de réforme avant le 15 décembre.

Plus de 500 000 séparations à l’amiable ont en effet été homologuées en 2022 et elles représentaient, en 2021, un quart des dépenses de l’Unédic, soit 9 milliards d’euros. Car contrairement à la démission, la rupture conventionnelle permet d’accéder à une indemnisation chômage.

Ironie de l’histoire, ce dispositif pensé en 2008 pour flexibiliser le marché du travail et « lever la peur de l’embauche » en réduisant les recours aux prud’hommes – un objectif largement atteint – est devenu l’ennemi à abattre.

Plutôt réticent à supprimer un système qui a fini par arranger tout le monde, Olivier Dussopt a prudemment précisé, toujours sur France Inter, qu’il étudiait des pistes pour limiter le recours aux ruptures conventionnelles signées peu avant la retraite. Et ce, afin d’éviter les fameuses préretraites financées par l’Unédic. Un phénomène dont l’ampleur semble pourtant largement fantasmée.

« En 2019, 6,7 % des ruptures conventionnelles sont signées par des salariés de plus de 60 ans, qui représentent 6 % des CDI », rappelait dans nos colonnes Gwendal Roblin, doctorant en sociologie à l’université de Poitiers et auteur d’une thèse sur les usages sociaux des ruptures conventionnelles.

Les seniors sont donc à peine surreprésentés, contrairement aux 30-39 ans, qui forment le quart des actifs en CDI mais 35 % des ruptures conventionnelles.

Limiter le recours aux ruptures conventionnelles, c’est prendre le risque de voir les licenciements abusifs se multiplier

En termes d’égalité, peut-on juridiquement cibler les séparations d’un commun accord pour une seule catégorie, en l’occurrence les plus âgés ? Et surtout, comment y parvenir sans léser tous les autres ? La rupture conventionnelle est certes perfectible, mais elle a trouvé sa place entre le licenciement et la démission, ces deux dernières modalités restant largement majoritaires.

En limiter le recours, c’est prendre le risque de voir les licenciements abusifs se multiplier, d’autant que la barémisation des indemnisations prud’homales est très favorable aux employeurs. Cela pourrait signer un retour en arrière. Avant 2008, seuls ceux qui étaient en position de négocier un départ, en général les cadres, pouvaient partir avec un chèque.

Ce serait aussi, pronostique Gwendal Roblin, la porte ouverte aux arrêts maladie pour des salariés usés par le travail. Mais il est peu probable que s’attaquer aux ruptures conventionnelles contribue, même légèrement, à augmenter le taux d’emploi des seniors et encore moins à atteindre un taux de chômage de 5 %.

3/ Forcer les bénéficiaires d’aides sociales à travailler

Comme les chômeurs n’ont visiblement pas suivi les conseils d’Emmanuel Macron de 2018 – « traverser la rue pour trouver un travail » –, le Président a décidé « d’aller les chercher » et « de les responsabiliser ». L’heure est donc au conditionnement des aides et au renforcement des sanctions. Vous souhaitez des prestations sociales ? D’accord, mais il y aura une contrepartie. En anglais, cela s’appelle le workfare.

Les principaux concernés sont les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Avec le projet de loi « pour le plein-emploi », ces derniers devront s’inscrire à France Travail (le successeur de Pôle emploi) et s’acquitter d’au moins 15 heures d’activités hebdomadaires pour toucher leur allocation. Le contenu de ces activités reste encore flou : immersion en entreprise ? Bénévolat en association ? Préparation de son permis de conduire ? Mais une chose est sûre, le non-respect de cet engagement pourra entraîner une suspension de l’aide.

Mettre la pression aux chômeurs ne crée pas les effets tant espérés par l’exécutif et pourrait même être contre-productif

La philosophie est la même avec le Contrat d’engagement jeune (CEJ), dispositif qui succède à la Garantie jeunes et qui accompagne les 16-25 ans très éloignés de l’emploi depuis 2022. Pour toucher leur allocation, les jeunes doivent également justifier de 15 à 20 heures d’activités par semaine.

Problème : mettre la pression aux chômeurs ne crée pas les effets tant espérés par l’exécutif. « Aucune étude ne montre que le contrôle accélère le retour à l’emploi durable »explique ainsi la sociologue Claire Vivès1. Pire, cela pourrait même être contre-productif, car la pression exercée sur les chômeurs peut les « pousser à reprendre le plus vite possible un emploi, même s’il n’est pas de bonne qualité ou qu’il ne correspond pas à leurs aspirations ».

Le contrôle et la peur de la sanction peuvent aussi conduire à l’abandon du recours au RSA, complète l’économiste Yannick L’Horty dans une étude récente. Le chercheur montre également que la clé réside dans la qualité de l’accompagnement afin qu’il permette de lever les freins périphériques à l’emploi (santé, dettes, logement…) et d’augmenter ainsi les chances de retrouver un poste.

4/ L’apprentissage, machine à créer de l’emploi quoi qu’il en coûte

« Ceux qui défendent les contrats aidés n’en voudraient pas pour eux-mêmes ! » En 2017, Emmanuel Macron multipliait les sorties acerbes contre les postes subventionnés par l’Etat et en réduisait fortement le nombre. La pratique lui pose cependant moins de problèmes pour l’apprentissage, ce mode de formation, largement subventionné lui aussi, où un élève ou un étudiant alterne entre périodes scolaires et travail en entreprise. En décembre 2022, le ministère du Travail recensait ainsi 980 000 apprentis en France, soit deux fois plus qu’en 2018.

Ce niveau record découle de la détermination de l’exécutif. Dès 2018, une vaste réforme est lancée : les aides sont fusionnées, la limite d’âge est repoussée à 29 ans, la création des centres de formations d’apprentis (CFA) est libéralisée. Puis la cerise sur le gâteau arrive en 2020. En réponse à la crise sanitaire, une aide exceptionnelle non ciblée et très généreuse réduit fortement voire annule tout coût du travail des apprentis pour les entreprises.

« Il s’agit davantage d’aides aux entreprises que d’aides à l’insertion professionnelle des jeunes », Cour des comptes

Cette politique survit à l’après Covid, quoi qu’il en coûte. Qu’importe en effet si la productivité de la France baisse (un apprenti reste moins productif qu’un non-apprenti). Qu’importe si les coûts tutoient les sommets : « La dépense publique pour l’apprentissage a atteint 21 milliards d’euros pour l’année 2022, + 270 % depuis 2018 »note l’économiste Bruno Coquet.

Qu’importe encore si la finalité première de l’apprentissage est complètement dénaturée : « Il s’agit davantage d’aides aux entreprises que d’aides à l’insertion professionnelle des jeunes », déplore la Cour des comptes dans un rapport récent. Qu’importe enfin si cette manne budgétaire entraîne des effets d’aubaine (les entreprises embauchent à coût réduit des apprentis – notamment des étudiants du supérieur – qu’elles auraient embauché même sans aide) ou des effets de substitution (des apprentis sont recrutés sur des postes qui auraient échu à des salariés « normaux »).

De plus en plus de voix appellent toutefois à revenir à l’objectif premier de l’apprentissage – favoriser l’insertion des plus fragiles – et à mettre fin à l’open bar des subventions. Lors des débats budgétaires de l’automne, les députés de la majorité eux-mêmes espéraient récupérer 700 millions d’euros en ciblant davantage les aides. Avant de comprendre que ce totem reste, pour le moment, intouchable.

5/ Soumettre la formation au marché du travail

Haro sur les voies de garage ! Depuis quelques mois l’exécutif veut faire le ménage dans la formation des jeunes.

Le travail est déjà avancé dans les lycées professionnels. D’ici 2026, la carte des filières devrait y être remaniée en fonction des besoins de la région d’implantation. La fermeture des formations connaissant de mauvais résultats d’insertion s’accompagnera de la révision accélérée des diplômes porteurs, notamment ceux orientant vers la transition écologique, le numérique ou encore les services à la personne, qui accueilleront davantage d’élèves. Des « bureaux des entreprises » ont également été installés au sein des lycées pour renforcer les liens avec le tissu économique local. Enfin, le temps passé en entreprise devrait augmenter au sein d’une année de Terminale repensée.

Le risque est de doter les jeunes de compétences davantage périssables, dans des emplois vers lesquels ils seront dirigés à contre-cœur

Le même travail d’adaptation est prévu pour les formations universitaires. Emmanuel Macron a annoncé en septembre sa volonté de « développer plus de formations courtes, entre un et trois ans, au plus près du terrain, dans des villes périphériques où le coût de la vie est moins important », le tout accompagné de la publication d’indicateurs d’insertion au niveau licence.

Le message est clair, mais la réalité complexe. En avançant dans cette voie, le risque est grand de doter les jeunes de compétences davantage périssables, dans des emplois vers lesquels ils seront dirigés à contre-cœur (alors que l’orientation en lycée pro, par exemple, est déjà largement subie), plutôt que de leur donner la capacité de s’adapter aux métiers à venir.

Par ailleurs, les diplômes universitaires sont déjà largement professionnalisés (périodes de stage, apprentissage), davantage il est vrai au niveau Master, débouché naturel de diplômes de licence aujourd’hui encore conçus comme généralistes.

Raccourcir les cursus reviendrait en tout cas à heurter la conviction, largement partagée et objectivement fondée, qu’un haut niveau de diplôme reste le meilleur rempart contre le chômage. Mais le gouvernement ne semble pas avoir d’autre proposition pour la jeunesse que de se résigner à cette perspective.

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/cinq-mauvaises-idees-gouvernement-faire-baisser-chomage/00109015



14/12/2023
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