Qui sont les grands perdants des réformes de l’assurance chômage ?

LA QUESTION 

Qui sont les grands perdants des réformes de l’assurance chômage ?

 

Plusieurs études récentes montrent que les jeunes et les précaires sont les plus touchés par les nouvelles règles de l’assurance chômage. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de vouloir en restreindre encore l’accès.

Par Sandrine Foulon

On s’en doutait, c’est confirmé : de moins en moins de demandeurs d’emploi ouvrent des droits au chômage depuis la réforme de l’assurance chômage de 2021. Fin février, des nouvelles données de l’Unédic – structure paritaire qui gère l’assurance chômage – et un rapport intermédiaire du comité d’évaluation de la réforme ont chiffré précisément ce phénomène.

Petit rappel pour commencer. La réforme adoptée en 2019, dont l’entrée en vigueur a été progressivement décalée pour cause de pandémie, a modifié en profondeur le visage de l’assurance chômage, entre changement du calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui sert à fixer l’allocation de retour à l’emploi (ARE), augmentation de la durée de travail nécessaire pour avoir accès à l’indemnisation (de 4 mois sur une période de 28 mois, à 6 mois sur 24 mois), introduction de la dégressivité pour les chômeurs de moins de 57 ans qui touchaient un salaire supérieur à 4 800 euros et mise en place d’un bonus-malus pour les entreprises qui abusent des contrats courts.

Enfin, une autre grande réforme du quinquennat sur l’assurance chômage a mis en place, en 2023, un principe de « contracyclicité » : les allocations sont réduites quand la conjoncture est favorable, et augmentées lorsque l’activité est en berne. Mais l’Unédic commence à peine à percevoir les effets de ces changements. C’est essentiellement sur ceux de 2021 que portent les premiers résultats.

Sans surprise, il est donc devenu plus difficile d’être indemnisé par l’assurance chômage. Entre 2019 et 2022, les ouvertures de droit ont chuté de 17 %. Prudents, les auteurs du rapport intermédiaire rappellent qu’il était compliqué de faire la part des choses entre les effets de la réforme et l’embellie économique qui a fait baisser le nombre d’inscrits à France Travail (ex-Pôle emploi).

Pour autant, les chiffres montrent que la courbe des ouvertures de droits a décru plus vite (- 17 %) entre le 2e trimestre 2021 et le 2e trimestre 2023 que la courbe des demandeurs d’emploi qui se sont inscrits à Pôle emploi (- 14 %).

Ce premier bilan pointe des éléments préoccupants pour les jeunes et les chômeurs les plus précaires, qui alternent petits contrats et périodes de chômage. Entre 2019 et 2022, les ouvertures de droits ont baissé de 24 % pour les moins de 25 ans (contre - 15 % pour les 35-44 ans par exemple).

Elles ont également significativement chuté pour les non-cadres (- 19 %, contre + 2 % pour les cadres), encore plus pour les intérimaires (- 35 %) et les salariés en CDD (- 27 %) alors qu’elles ont connu une progression de 5 % pour les salariés en CDI.

La modification du calcul du SJR s’est également soldée par une baisse du montant des allocations. Un million d’allocataires, soit près d’un chômeur sur deux (47 %), est ainsi concerné par ces restrictions.

L’impact est loin d’être négligeable : 26 % des allocataires qui ont ouvert un droit selon la convention de 2021 ont perçu une allocation de plus de 10 % inférieure à celle qu’ils auraient touchée selon les anciennes règles.

Cette baisse des allocations a des conséquences paradoxales. Ainsi, Gabriel Attal ne cesse de marteler que « travailler doit payer plus que de ne pas travailler ». Or, les demandeurs d’emploi sont de plus en plus nombreux à avoir un boulot.

Il y a trente ans, seuls 20 % des allocataires travaillaient, c’est le cas de la moitié d’entre eux aujourd’hui. Mais l’opération ne s’avère pas être si « payante ». Non seulement, la part des allocataires qui travaillent tout en étant indemnisés (25 %) reste stable depuis dix ans mais ce sont eux qui sont le plus touchés par la modification du calcul du salaire journalier de référence. C’est le cas de 87 % des intérimaires et de 64 % des salariés en CDD, contre 19 % de ceux qui sont en CDI.

Pour le gouvernement, ces aspects négatifs seront contrecarrés par un retour à l’emploi durable. Mais rien n’est encore avéré sur ce plan. Les préconclusions du rapport du comité d’évaluation de la réforme ne sont pas rassurantes.

Si les auteurs constatent des effets « positifs et significatifs » de la réforme sur l’emploi, ils précisent toutefois que celle-ci « augmente de 3,4 points la probabilité de retrouver un emploi dans les deux mois qui suivent la perte d’un contrat de plus 3 mois ». Cette probabilité est du même ordre pour les contrats de 1 à 3 mois mais nulle pour ceux qui sont inférieurs à un mois.

Le rapport souligne en outre que pour les plus de 25 ans, cette reprise de l’emploi n’est pas durable.

Moins d’accès à la formation

Problème supplémentaire, une enquête qualitative de l’Unédic menée auprès d’allocataires touchés par la réforme de 2021 montre que le montant de leur allocation ne leur permettait plus de se former. « Les allocataires ayant la plus petite allocation (appartenant au plus petit décile d’AJ) sont ceux, qui ont, en moyenne, la plus faible probabilité d’accéder à une formation », rappelle le rapport.

« Ce résultat peut être lié au temps partiel qui concerne davantage les plus faibles allocations. D’une part, des contraintes d’organisation pourraient être incompatibles avec le suivi d’une formation. D’autre part, de faibles revenus pourraient entraîner une urgence à reprendre un emploi peu compatible avec une inscription en formation. »

Ces tendances doivent, là encore, faire l’objet de travaux approfondis. Mais elles dessinent déjà un cercle vicieux susceptible d’ancrer les chômeurs dans la précarité.

Malgré l’absence d’évaluations complètes des réformes, le gouvernement entend une nouvelle fois durcir des règles qui l’ont déjà été deux fois depuis 2017

Les auteurs du rapport observent enfin un dernier aspect de la mesure. Ils notent qu’entre 2019 et 2022, la durée d’indemnisation des nouveaux allocataires s’est allongée de 3,5 mois, pour atteindre 19,5 mois.

Le principe de la réforme est en effet de verser une allocation plus faible aux chômeurs qui alternent les contrats courts mais sur une période plus longue. Il ne s’agit toutefois pas d’un jeu à somme nulle pour les chômeurs, notamment parce qu’ils ne consomment généralement pas l’intégralité de leurs droits et que la réforme de la contracyclicité qui a réduit, en 2023, de 25 % la durée d’indemnisation, n’a pas encore donné sa pleine mesure.

Tour de vis

En dépit de ces résultats qui devraient inviter à la prudence et malgré l’absence d’évaluations complètes des réformes – le rapport final des impacts des mesures est attendu pour la fin de l’année – , le gouvernement entend une nouvelle fois durcir des règles qui l’ont déjà été deux fois depuis 2017.

Le 1er mars, en déplacement dans les Vosges, le Premier ministre s’est déclaré prêt à « prendre des décisions difficiles » sur l’assurance chômage. Il compte aller plus loin pour fermer davantage la porte de l’indemnisation.

Parmi les pistes qui seront à nouveau mises sur la table lors d’un séminaire gouvernemental prévu mi-mars sur le sujet, figure la dégressivité des allocations, mesure déjà expérimentée entre 1992 et 2001 et supprimée faute de résultat, qui pourrait être étendue à l’ensemble des chômeurs.

Matignon n’exclut pas non plus de ramener le taux de CSG (Contribution sociale généralisée) qui s’applique aux allocations (de 3,8 % à 6,2 %) sur celui des salariés (9,2 %). Gabriel Attal annonce aussi un triplement des contrôles sur les chômeurs, qui devraient passer de 500 000 à 1,5 million par an d’ici à 2027. Quant au remplacement annoncé de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) pour les chômeurs en fin de droits, par le RSA, il augure de sérieuses pertes de revenus pour les foyers concernés.

Selon la formule consacrée, « il n’y aura ni totem, ni tabou » a prévenu Gabriel Attal. De son côté, Bruno Le Maire n’est pas en reste. Après avoir déclaré que la durée d’indemnisation maximale des demandeurs d’emploi seniors, de 27 mois aujourd’hui, devait être alignée sur celle de tous les autres, soit 17 mois, le ministre de l’Economie n’a pas caché son souhait de voir l’assurance chômage « définitivement » reprise en main par l’Etat. Le sort du paritarisme – l’Unédic est gérée par les partenaires sociaux – qui ne tient déjà qu’à un fil, pourrait être scellé.

Sur les demandeurs d’emploi, une surtaxe

Cela fait plusieurs fois que le gouvernement refuse les termes de la convention d’assurance chômage signée par les syndicats et qu’il impose ses propres conditions. Le dernier accord, conclu le 27 novembre dernier, est pour l’heure « suspendu » au résultat de celui sur le pacte de la vie au travail attendu pour la fin mars.

En quête de 10 milliards d’économies supplémentaires pour boucler son budget, le gouvernement fait les poches aux chômeurs

Or les négociations qui concernent l’usure professionnelle, le compte épargne temps universel et l’emploi des seniors semblent très mal parties. Une nouvelle occasion pour l’exécutif de modeler à sa guise un nouveau projet de loi sur le marché du travail prévu pour l’été.

Ce texte devrait lui permettre de faire toujours plus d’économies. C’est déjà vrai pour l’assurance chômage qui se porte bien. Malgré des excédents moins importants que prévu et les ponctions de l’Etat pour contribuer au financement de l’apprentissage et de France Travail, l’Unédic table sur un solde positif de 3 milliards l’an prochain et de plus de 11 milliards en 2027.

Les finances de l’assurance chômage continuent de bien se porter

Solde financier de l'assurance chômage et prévisions, en milliards d'euros

Car il existe deux manières de creuser l’écart entre ceux qui travaillent et ceux qui sont privés d’emploi : soit le gouvernement « récompense » le travail par des hausses de salaires, soit il choisit d’appauvrir les demandeurs d’emploi en réduisant leur indemnisation. C’est la voie qu’il continue à emprunter. Avec les précédentes réformes, il a inventé la taxe sur les demandeurs d’emploi, il crée désormais la surtaxe.



07/03/2024
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