"Rien ne prouve que le contrôle de la recherche d’emploi a un effet positif sur le retour à l’emploi durable" (C. Vivès)

"Rien ne prouve que le contrôle des chômeurs a un effet positif sur le retour à l’emploi et
tout particulièrement sur le retour à l’emploi durable", affirme Claire Vivès, docteure en
sociologie, ingénieure de recherche au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers),
membre du Lise et du CEET (Centre d’études de l’emploi et du travail). Elle est coauteure du
livre "Chômeurs, vos papiers ! Contrôler les chômeurs pour réduire le chômage ?",
avec Luc Sigalo-Santos, Jean-Marie Pillon, Vincent Dubois et Hadrien Clouet (Raisons d’agir
Éditions). Claire Vivès explique que les politiques de contrôle des demandeurs d’emploi
sont "de plus en plus présentes" mais qu’elles "ne s’appuient pas sur des preuves". Elle
décrit, en revanche, une "pression mise sur les demandeurs d’emploi [qui] se reporte sur
les salariés en poste".

AEF info : Quelle est l histoire du contrôle des chômeurs ?
Claire Vivès : Le contrôle des chômeurs et des chômeuses n’est pas une pratique nouvelle mais elle s’est transformée. Elle
est le reflet du politique, de ce qui occupe les politiques d’emploi. Dès la création des caisses de secours, des caisses de
chômage financées par les organisations ouvrières, il y avait l’idée qu’il fallait vérifier que la personne indemnisée était bien
un "vrai" chômeur. On vérifiait aussi leurs bonnes mœurs en s’assurant qu’ils n’étaient pas alcooliques. Et quand le fonds
était public, qu’ils n’étaient pas révolutionnaires. Ensuite, il ne faut pas indemniser quelqu’un qui travaille car pendant
longtemps la question a été celle du travail non déclaré. Le contrôle n’était pas un contrôle de la recherche d’emploi mais
un contrôle des chômeurs.
Le contrôle est plus ou moins intensif selon les périodes. Durant les 30 glorieuses, avec un chômage faible, le contrôle était
peu présent. À partir des années 1970, avec l’augmentation du chômage, le contrôle s’intensifie. Le mouvement est un peu
paradoxal : plus le chômage augmente, plus les chômeurs sont suspectés d’être la cause du chômage. De plus en plus, on
va mettre une responsabilité individuelle à la situation de chômage. Il faut contrôler que la personne fait bien ce qu’il faut
pour s’en sortir. C’est là où le contrôle se transforme et les comportements de recherche d’emploi sont examinés.
AEF info : Quand et comment ce contrôle s’est-il intensifié ?
Claire Vivès : Il y a un basculement après la fusion ANPE/Assédic. Il y avait alors la volonté de mettre dans les mains d’un
conseiller unique l’indemnisation et l’accompagnement. À chaque rendez-vous, le conseiller allait pouvoir vérifier la
recherche. Le projet de conseiller unique est tombé à l’eau mais l’idée demeurait.
 
Quelques années après, il est apparu que les conseillers ne faisaient pas ce contrôle. Les cas de conseillers qui demandaient
une sanction étaient très peu nombreux. Il y avait des sanctions liées à la gestion de la liste. Certains conseillers pouvaient
d’ailleurs jouer avec cela en convoquant davantage certaines personnes, jugées peu impliquées. Mais les conseillers qui
transmettaient des dossiers étaient une exception.
Il y a donc une demande du ministre du Travail, François Rebsamen, de relancer la fonction de contrôle. Au départ, en
2014, c’est une expérimentation, ensuite étendue en 2016. En 2016, 200 contrôleurs sont mobilisés. En 2018, les effectifs
sont renforcés avec 600 contrôleurs.
La dernière étape de l’intensification a lieu en 2021. Emmanuel Macron annonce un renforcement du contrôle pour lutter
contre les "pénuries de main-d’œuvre". La demande est de passer de 400 000 à 500 000 contrôles, soit une augmentation
de 25 %.

AEF info : Comment s’organise ce contrôle ?
Claire Vivès : C’est un contrôle à distance. Les conseillers chargés de l’accompagnement n’avaient pas envie de réaliser
cette mission. Ils considéraient que ce n’était pas leur travail. Le scénario retenu par la direction de Pôle emploi est celui
d’agents dont la seule mission est le contrôle et qui sont regroupés sur des "plateformes". L’organisation est régionale.
Les agents chargés de cette mission ne se trouvent pas dans les agences et ne suivent pas au long cours les demandeurs
d’emploi. Ils voient le dossier de la personne, tel qu’accessible pour les conseillers et ils demandent éventuellement des
preuves supplémentaires de recherche d’emploi. Les personnes ne sont pas convoquées pour être contrôlées. Ce sont des
échanges mails, téléphoniques.
Nous avons cherché à comprendre comment le contrôle s’était diffusé auprès des conseillers et des agences. Le discours a
été de dire qu’il ne s’agissait pas d’abord de contrôler mais d’identifier les demandeurs d’emploi découragés ou délaissés
par Pôle emploi et ayant besoin d’un accompagnement renforcé ou au moins relancé. Le contrôle est ainsi présenté
comme un outil de l’accompagnement. Les conseillers CRE sont d’ailleurs rattachés au pôle "accompagnement" (distincts
des pôles entreprises et indemnisation).

AEF info : Qui sont les agents chargés du contrôle au sein de Pôle emploi ?
Claire Vivès : Nous ne prétendons pas avoir une vision exhaustive. Toutefois, nous avons proposé une typologie avec
différents profils de conseillers chargés du contrôle de la recherche d’emploi. Parmi les conseillers qui viennent du réseau,
pour beaucoup, il y a une volonté de sortir de l’agence, de l’accueil, vécu comme très difficile. Ils veulent également
échapper à la charge de travail énorme, avec des plans d’actions successifs. Ces conseillers portent ce discours du contrôle
comme moyen d’accompagnement en s’appuyant sur les cas de personnes qui n’ont pas reçu d’accompagnement pendant
plusieurs années et / ou découragées.
Le deuxième type est composé de conseillers qui choisissent le CRE pour des raisons "pratiques" : compatibilité avec les
contraintes familiales, demande de mutation, etc.
Enfin, il y a les personnes qui sont entrées directement par les plateformes, qui via le CRE découvrent "l’accompagnement"
et qui par ce biais espèrent poursuivre leur carrière en agence.
 
AEF info : Qui est contrôlé et pourquoi ?
Claire Vivès : Les contrôleurs ont un nombre de dossiers à contrôler qui arrive sur leur bureau et qu’ils n’ont pas choisis. Il y
a trois sources principales du contrôle. D’abord, les signalements des conseillers accompagnement qui travaillent en
agence. L’objectif de Pôle emploi était d’ailleurs de faire augmenter la proportion de ces signalements. Ils représentent
17 % de l’ensemble des contrôles en 2022.
Ensuite, le contrôle aléatoire qui touche des demandeurs d’emploi au hasard.
 
Enfin, la troisième source est le contrôle sur requêtes, qui vise par exemple les métiers en tension. Cette requête est de
plus en plus utilisée depuis le discours d’Emmanuel Macron en 2021. Le contrôle concerne alors des demandeurs d’emploi
qui ont indiqué lors de leur inscription qu’ils recherchaient un travail dans un métier en tension. La part des personnes
contrôlées dans ce cadre a augmenté. Les requêtes peuvent aussi viser les sortants de formation.
 
AEF info : Quelles sont les issues de ces contrôles ?
Claire Vivès : Pôle emploi n’est pas transparent sur les chiffres du contrôle. Nous avons mobilisé tous les chiffres que nous
avons réussi à collecter. Certains n’ont pas été donnés ni publiés par Pôle emploi qui ne communique pas de façon
régulière et systématique. C’est un problème. Puisque le contrôle est dans nombre de discours, il faudrait pouvoir
connaître le nombre de contrôles et leurs issues.
Il y a quatre issues possibles au contrôle. La personne peut être considérée comme "en recherche active". Elle peut aussi
être considérée comme "pas suffisamment active" et faire l’objet d’une "remobilisation". La troisième issue est la sanction.
Enfin, il existe une catégorie "autres motifs" pour les cas qui ne rentrent pas dans les autres cases.
Environ 15 % des personnes sont sanctionnées pour absence de recherche active. 85 % des demandeurs d’emploi ne sont
donc pas sanctionnés. Pour environ 20 % des personnes contrôlées, le contrôle se solde par un "besoin de redynamisation".
Cette issue signifie que la recherche est jugée insuffisante mais que la personne est posée comme devant faire l’objet
d’une aide supplémentaire et non d’une sanction.

AEF info : Ces politiques ont-elles un effet sur le retour à l’emploi ?
Claire Vivès : Le contrôle des chômeurs est présenté comme un outil du retour à l’emploi. Ces politiques de contrôle au
nom du retour à l’emploi sont de plus en plus présentes mais elles ne s’appuient pas sur des preuves. Rien ne prouve que le
contrôle des chômeurs a un effet positif sur le retour à l’emploi et tout particulièrement sur le retour à l’emploi durable. Il
n’y a pas de données pour le dire. C’est une politique sans preuve.
J’insiste sur l’emploi durable. Il y a quelques travaux qui montrent que cela peut pousser les personnes à prendre un emploi
qu’elles n’auraient pas pris dans d’autres circonstances. Cela augmente le turnover et a ainsi des effets pervers pour les
entreprises.
En outre, contrôler la recherche d’emploi peut amener des demandeurs d’emploi à modifier leur manière de chercher.
Quand une personne est contrôlée, elle doit fournir des preuves. Il faut envoyer des candidatures. Mais en France, toute
une partie du recrutement se fait par des canaux informels, sans passer par des offres. C’est particulièrement le cas pour
l’emploi non qualifié. Demander aux personnes d’envoyer des candidatures peut leur faire perdre leur temps. Vouloir
reporter la recherche d’emploi vers des canaux formels n’est pas efficace.
 
AEF info : Dans votre livre, vous décrivez un effet négatif du contrôle sur les conditions de travail des salariés.
Pourquoi ?
Claire Vivès : Cette pression mise sur les demandeurs d’emploi se reporte sur les salariés en poste. Les chômeurs sont
poussés à accepter des emplois qui ne les satisfont pas. Or un emploi non satisfaisant peut l’être car les conditions de
rémunération, de travail ou d’emploi ne sont pas bonnes. Les emplois non pourvus sont pour beaucoup des emplois en
contrats courts ou à temps partiel.
Si des demandeurs d’emploi sont pressés de prendre ces emplois, cela rend plus difficile l’établissement d’un rapport de
force entre l’employeur et les salariés en poste de ces secteurs. Cela permet de continuer à pourvoir les postes sans
considération pour la qualité du travail. Or, face aux difficultés de recrutement, les employeurs sont contraints de modifier
les emplois qu’ils proposent. Par exemple, dans la restauration, on voit que les employeurs ont de plus en plus de mal à
recruter "en coupure" (lorsque la journée de travail est interrompue).
 
Dans le cadre de cette dépêche, AEF info a interrogé Pôle emploi sur les pratiques du contrôle et sur
la publication des données. "Le contrôle de la recherche d’emploi est un processus équilibré. Tout
est fait sur la base du contradictoire", commente Stéphane Ducatez, directeur général adjoint en
charge du réseau de Pôle emploi. Ce dernier met en avant le travail des conseillers chargés du
contrôle qui regardent les dossiers et peuvent interroger les demandeurs d’emploi concernés. "Même
en cas de sanction, il y a un avertissement qui est adressé de manière que la personne puisse réagir
avant la radiation", poursuit-il.

"Le contrôle est aussi équilibré dans ses issues : la recherche d’emploi, la redynamisation ou la
radiation", assure le DGA. "La redynamisation permet de mieux accompagner, mieux orienter une
personne qui a perdu courage, qui est sur un marché peu porteur", détaille-t-il. La radiation concerne
les demandeurs d’emploi qui "ne font pas d’actes de recherche, ne se justifient pas, ne répondent
pas aux sollicitations". Des demandeurs d’emploi sortent également de la procédure de contrôle pour
d’autres raisons, parce qu’ils ont retrouvé un emploi ou commencé une formation.
Pôle emploi indique avoir publié, en 2018, une étude "très détaillée" sur le contrôle. "Par la suite, nous
n’avons pas publié les chiffres mais nous les communiquons régulièrement quand nous sommes
sollicités", souligne le DGA. L’opérateur envisage de présenter le bilan 2023 au premier semestre
2024. Dans l’étude de 2018, Pôle emploi précise que le retour à l’emploi est plus élevé pour les
demandeurs d’emploi contrôlés que pour l’ensemble des demandeurs d’emploi. Parmi ceux
contrôlés de façon aléatoire entre décembre 2015 et novembre 2016, 31 % ont retrouvé un emploi au
cours des trois mois suivant le contrôle contre 28 % des demandeurs inscrits sur la même période.



14/12/2023
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