RSA : La réforme France Travail crée le malaise chez les conseillers en insertion

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Les conseillers chargés d’accompagner les bénéficiaires du RSA redoutent les nouvelles procédures d’accompagnement et de sanction prévues dans le cadre de la réforme France Travail, qui vient d’être adoptée par le Parlement.

La réforme France Travail est fin prête. Ce 14 novembre, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi pour le plein-emploi, quelques jours après le Sénat. Sous pression de la droite, l’obligation de réaliser « au moins » 15 heures d’activités hebdomadaires utiles à l’insertion professionnelle pour toucher le RSA a finalement été inscrite noir sur blanc dans la loi.

Un réseau pour l’emploi réunissant l’ensemble des collectivités et acteurs spécialisés (missions locales, Cap emploi…) sera par ailleurs créé dès janvier 2024. Tous ces partenaires sont appelés à mieux travailler ensemble en définissant des procédures communes d’orientation des personnes sans emploi, selon le degré de leurs difficultés d’insertion. Et pour ne rater personne, c’est Pôle emploi, le futur opérateur France Travail, qui centralisera la majeure partie des inscriptions avant l’aiguillage vers le bon référent.

Ce vaste remue-ménage en préparation n’a bien sûr pas échappé aux professionnels chargés du suivi de ces publics les plus éloignés de l’emploi. La pression monte déjà, avant même la mise en place de la réforme.

« Les personnes que j’accompagne suivent l’actualité. Elles ont changé d’attitude. Elles sont prêtes à accepter tout et n’importe quoi pour ne pas être pénalisées. Une romancière que je suis est par exemple à deux doigts de changer son projet de vie pour devenir agente de sécurité », constate Thierry1, conseiller d’une agence Pôle emploi en région parisienne, qui accompagne des bénéficiaires du RSA en tandem avec les services sociaux.

Bien que la promesse du gouvernement soit de mieux accompagner les personnes très éloignées du marché du travail, les conseillers en insertion professionnelle (CIP) qui travaillent à Pôle emploi, dans les départements ou les associations mandatées par ces derniers pour aider les bénéficiaires du RSA dans leurs démarches, restent sur leurs gardes.

Une réforme ambivalente

« C’est très compliqué de se projeter sur cette réforme », souligne Christian2, « coach emploi » dans le Nord.

« Ce département fait écho au projet France Travail. C’est un territoire vitrine qui participe depuis 2019 à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Mais le département a vite durci son discours, en nous incitant à sanctionner les bénéficiaires du RSA plutôt qu’à les remobiliser », témoigne-t-il.

Depuis avril, le Nord expérimente déjà, à Tourcoing, l’accompagnement version France Travail. Les 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires y sont de rigueur. Même les immersions professionnelles sont obligatoires, comme l’a souligné France Info.

La zone géographique dans laquelle travaille Christian n’était jusqu’à présent pas soumise à ce régime, mais il redoute que la généralisation de la réforme augmente encore d’un cran la pression déjà exercée sur les bénéficiaires, à l’instar de ce qu’il observe dans son territoire.

La consigne : ne pas recontacter une personne qui n’honore pas un rendez-vous. Une manœuvre qui vise à déclencher illico la procédure de sanction

Enthousiaste lors de sa prise de poste il y a quelques années, le coach a déchanté quand il a découvert qu’il ne disposait que de trois mois non renouvelables, et non six comme il le pensait, pour accompagner les allocataires. Au terme de cette période, les publics sont réorientés vers d’autres partenaires, mais « en fonction des places disponibles », critique-t-il.

Et depuis mars dernier, il a reçu une nouvelle consigne : ne pas recontacter une personne qui n’honore pas un rendez-vous afin de comprendre les raisons de son absence. Cette manœuvre, qu’il désapprouve, vise à déclencher illico la procédure de sanction. Comme les allocataires du RSA doivent être reçus une fois par semaine, cela multiplie les risques de suspension de la prestation au moindre écart.

Christian en vient à espérer que Pôle emploi cadre davantage les tendances du département qu’il juge trop répressif. Sauf que sur ce point, rien n’est garanti. Le texte adopté par le Parlement prévoit qu’un décret fixe à l’avenir les durées minimale et maximale des suspensions et suppressions du RSA, mais les départements gardent la main sur la sanction des allocataires.

A moins qu’ils ne délèguent cette décision à l’opérateur France Travail. Localement, il fait peu de doute que les situations continueront de varier, selon les orientations politiques des départements.

La peur d’un flicage chronophage

Les conseillers ayant accepté de témoigner redoutent aussi la mise en place des 15 heures d’activités hebdomadaires. Cette obligation s’appliquera à tous les demandeurs d’emploi, à quelques exceptions près.

Cette durée d’activité pourra en effet être minorée, mais sans être nulle, « pour des raisons liées à la situation individuelle de l’intéressé », selon la loi. Voire ne pas être exigée du tout, mais seulement pour des personnes « rencontrant des difficultés particulières et avérées, en raison de leur état de santé, de leur handicap, de leur invalidité et de leur situation de parent isolé sans solution de garde ».

Pour autant, Clara3, conseillère dans une agence Pôle emploi d’un autre territoire pilote, s’inquiète :

« On va être dans une posture de contrôle et plus du tout de conseil. Il va falloir téléphoner aux gens pour qu’ils postulent à des offres d’emploi. [décomptées en heures d’activité, NDLR] Ce n’est pas forcément ce que j’ai envie de faire », souligne-t-elle.

Les conseillers en insertion professionnelle (CIP) doivent en effet s’assurer que les personnes réalisent 15 heures de démarches favorables à leur insertion, comme envoyer des CV ou assister à des formations.

« On va être dans une posture de contrôle et plus du tout de conseil », Clara, conseillère Pôle Emploi

Alors que Clara suit aujourd’hui quelque 70 personnes, elle ne voit pas comment elle trouvera le temps de renseigner toutes les heures d’activité à l’avenir dans le logiciel de saisie qu’elle a récemment découvert.

La conseillère s’attend donc à saisir manuellement certaines démarches très spécifiques accomplies par les publics pour justifier leur activité. Une tâche bien trop chronophage à ses yeux. A l’avenir, elle craint une « perte de sens » qui pourrait l’amener à quitter son poste.

Les mêmes doutes assaillent Coralie4. Conseillère en insertion dans une association, elle reçoit des profils très éloignés de l’emploi qui lui sont envoyés par le département et qu’elle peut accompagner pendant un an.

Au sein d’un territoire pilote dans l’Eure, elle tente déjà d’appliquer l’obligation d’activité. Et confirme cette injonction difficile à mettre en œuvre en pratique et pour laquelle le gouvernement s’est résolu à prévoir des exceptions.

« C’est très compliqué d’atteindre les 15 heures, souligne Coralie. Je ne peux pas faire faire 15 heures d’activités à quelqu’un qui a des problèmes psychologiques. »

Idem avec les mères de famille qui ne disposent pas de solution de garde pour leurs enfants. En zone rurale, l’entrée en formation peut aussi être empêchée par l’absence de permis de conduire – dans son territoire les aides sont réservées aux moins de 26 ans – , ou par l’impossibilité de s’acheter une voiture ou même de la réparer, faute de revenus suffisants.

Mais il n’est pas certain que les bénéficiaires du RSA qui ne font pas face à ces difficultés soient assurés de pouvoir réaliser ces heures. L’association dans laquelle Coralie travaille prépare depuis longtemps aux techniques de recherche d’emploi ou aux entretiens d’embauche, mais c’est insuffisant pour combler les agendas de ses allocataires.

« On n’a pas de vision sur ce que propose tout le territoire en termes d’ateliers », constate-t-elle.

Elle recourt tout de même régulièrement, en externe, à une solution intensive : un parcours proposé par la Région Normandie, le dispositif #Avenir.

« C’est la seule formule, sinon on a des ateliers de deux heures, par-ci par-là, et si on est au courant de leur existence », explique-t-elle.

Cette formation de 35 heures par semaine vise à définir un projet professionnel ; elle comprend divers ateliers de recherche d’emploi, de découverte de métiers, ainsi que des stages.

Si certains ont ainsi pu retrouver des postes en usine, dans la propreté ou dans les métiers du bâtiment, l’absence d’offre de transport adaptée aux horaires de ces emplois peut poser problème. Certains allocataires reviennent donc à la case départ.

Imposer des heures d’activités et augmenter les placements en emploi, cela risque de contrarier certaines vocations

Alors, « il faut reprendre les 15-20 heures », enchaîne CoralieSans reprise d’emploi immédiate à l’issue de cette formation, et parce qu’elle est rémunérée 350 euros par mois, les bénéficiaires du RSA s’exposent ensuite à une baisse temporaire de leur allocation, jusqu’à la déclaration de revenus suivante. Voilà qui est peu incitatif.

Et pourtant, « les gens y vont, car ils ont peur de la sanction », constate la conseillère. Afin de leur éviter toute mauvaise surprise, elle leur recommande d’épargner cette rémunération supplémentaire pour combler la baisse de l’allocation.

Conflits éthiques

Cette réforme perturbe certains professionnels à juste titre, à en croire plusieurs observatrices. Cheffe de projet à l’association Tous tes possibles, qui expérimente des formes d’accompagnement à l’insertion, Sophie Nunenthal-Mathis estime que les conditions d’exercice du métier pourraient évoluer de manière importante sous l’effet des 15 heures minimales d’activités.

« Faudra-t-il, à l’avenir, se demander si le bénéficiaire est en mesure de s’engager à réaliser ses heures, plutôt que d’identifier ses besoins en termes d’accompagnement social et professionnel ? », interroge-t-elle.

Qui dit non-respect des 15 heures dit en effet sanction. Tout l’enjeu des conseillers en insertion consistera donc à ne pas précipiter des publics vers un retrait du RSA s’ils sont moins assidus ou imprévisibles, par exemple pour des raisons de santé mentale ou autres contraintes personnelles. Une préoccupation qui, du reste, structure déjà le travail de certains conseillers en insertion.

« Parfois, des personnes vont planter des actions d’insertion qu’on leur a prescrites. Quand on sait qu’ils vont se saboter une nouvelle fois, il m’est déjà arrivé de négocier avec la hiérarchie pour ne pas les positionner sur des actions », explique ainsi Loïc, qui a travaillé dans une association pour le compte du département des Alpes-Maritimes.

Pour Melika Châal, responsable de la filière formant des CIP à l’Ecole supérieure de travail social (Etsup), imposer des heures d’activités et augmenter les placements en emploi, ce n’est pas exactement la même chose que d’accueillir et d’accompagner les personnes. Prendre un tel cap risque de contrarier certaines vocations.

« Les conseillers en insertion professionnelle sont souvent motivés par l’idée d’accompagner et d’aider les personnes. C’est un métier de la relation humaine qui part des besoins de la personne et non de l’institution », précise-t-elle.

S’écarter d’une telle posture risque de tendre des relations déjà loin d’être simples à nouer entre conseillers et allocataires.

Catherine Abou El Khair

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/reforme-france-travail-cree-malaise-chez-conseillers-insertion/00108638



28/12/2023
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