Marie est conseillère à l’emploi et s’efforce d’accompagner des demandeurs d’emploi aux parcours parfois chaotiques, dans des conditions toujours plus dégradées, à la fois pour les agents et pour les usagers. Mais surtout, à 66 ans, après une carrière hachée, la travailleuse en situation de handicap est épuisée. Elle n’aspire qu’au repos mais devra encore attendre.
« Je m’appelle Marie, j’ai 66 ans et je travaille à Pôle emploi depuis 2005. J’ai 260 demandeurs d’emploi dont je dois m’occuper toute seule. Je suis fatiguée.
On nous met la pression sur les chiffres et il y a le désespoir des chômeurs que l’on doit gérer. Je reçois les gens tous les deux ou trois mois. Je suis débordée de mails. Je commence à 7 h 30 et je finis à 17 heures, et je ne prends qu’une pause de vingt minutes. D’après mes horaires, je fais de 8 h 15 à 16 h 30. Mais je commence plus tôt que mes horaires parce que sinon je ne m’en sors pas, je veux bien faire mon travail.
On nous met la pression pour faire du chiffre. Par exemple, on nous demande de prescrire une période de mise en situation professionnelle tous les quinze jours, c'est un peu comme des stages. Sauf qu’on trouve peu d’employeurs qui souhaitent le faire, parce que ça prend du temps de former quelqu’un. Et pourtant, on doit quand même en prescrire parce que le gouvernement trouve que c’est bien.
À cause de Pôle emploi, notre métier se perd. Puisque nous n’avons plus le temps pour accompagner correctement les demandeurs d’emploi, nos directions nous poussent, toujours plus, à rediriger les demandeurs vers des prestations assurées par le secteur privé. Découvrir le site de Pôle emploi, refaire un CV, écrire une lettre de motivation, accompagner quelqu’un dans une demande d’emploi… Tout ça, on le faisait avant parce qu’on avait le temps mais maintenant on nous demande systématiquement de les renvoyer vers des prestations extérieures. J’ai l’impression de ne plus faire correctement mon travail de conseillère en évolution professionnelle. C’est désolant.
Et en plus, les prestataires privés ne font pas toujours bien le travail. Sur l’écriture du CV, on discutait longtemps avec les gens, s’il y avait des périodes de chômage, on voyait comment on pouvait les combler, on mettait en avant leur profil… Chez les prestataires privés, ils doivent faire ça vite, à plusieurs, c’est vraiment pas le même service qui est délivré.
De tout ça, je suis fatiguée et je ne suis pas la seule, mes collègues c’est pareil.
Moi, j’ai commencé à travailler à 14 ans, y compris les samedis et les dimanches. J’ai été nounou, vendeuse en boulangerie, extra dans des restaurants quand j’étais au lycée.
Après j’ai eu le bac et je suis partie en formation hôtellerie et restauration, grâce à laquelle je suis devenue réceptionniste en 1976.
Puis, j’ai eu mon garçon. Dans le début des années 1980, j’ai travaillé à la réception d’un centre de vacances pendant les saisons estivales qui allaient de mars à octobre à peu près.
Puis, j’ai eu ma fille. Je n’ai pas pu continuer à travailler dans les centres de vacances avec mes deux enfants à m’occuper. Alors, je suis devenue aide à domicile, auprès des personnes âgées.
Puisque mon compagnon était enseignant et que j’avais deux enfants, je ne pouvais pas travailler la journée alors je travaillais la nuit. Je passais des soirées et des nuits chez les personnes âgées, je surveillais qu’elles n’aient pas de problème, on mangeait, on regardait parfois un film ensemble, quelquefois j’ai dû appeler des médecins pour des urgences tard le soir. J’ai fait ça à peu près pendant deux ans, jusqu’à la fin des années 1980.
Après aide à domicile, j’ai remplacé une personne en arrêt dans un service de comptabilité et gestion, pendant un an. J’ai fait beaucoup de jobs dans ma vie.
Mais c’est au début des années 90 que c’est devenu vraiment compliqué, j’ai eu un début de cancer et plein de problèmes médicaux. Tous les os de ma colonne vertébrale se sont dévitalisés. On m’a reconnue comme travailleuse handicapée et j’ai dû m’arrêter pendant un an. Encore.
Quand j’ai voulu reprendre, mon médecin m’a interdit pas mal des métiers que j’avais faits auparavant. Alors je me suis formée à l’informatique dans un centre spécialisé pendant deux ans, mais, en sortant, je n’ai pas trouvé de boulot. Catastrophe.
À cette époque-là, je prenais ce que je trouvais : j’ai fait un remplacement aux impôts, puis je me suis retrouvée comptable pour les pompiers, je m’occupais surtout de leurs fiches de salaire.
C’est à ce moment-là que mon mari et moi nous nous sommes séparés. On habitait dans un logement de fonction qui lui était accordé. Donc je me suis retrouvée seule, sans emploi stable, avec les enfants, et sans logement. Catastrophe de nouveau
Au niveau du travail, j’ai trouvé un mi-temps en tant que caissière dans une station-service, c’était pas facile. Pour le logement, j’ai envoyé des lettres pour obtenir un logement social, je ne l’ai pas obtenu. On s’est retrouvés dans un logement complètement miteux, il faisait hyper-froid, c’était humide, c’était affreux. Alors un jour j’ai prévenu mon employeur que je ne viendrais pas, j’ai prévenu l’école des enfants qu’ils ne viendraient pas et on est allés, dès le matin, à l’office HLM. Ils voulaient me virer mais je suis restée, je leur répétais que j’avais besoin d’un logement digne et, avec les enfants, on est restés toute la journée, jusqu’à ce qu’on nous donne un logement. Et on l’a eu, ils nous ont donné les clefs.
Et c’est après tout ce parcours que, finalement, j’ai passé les concours pour rentrer à Pôle emploi. Je l’ai eu en 2005, j’y travaille depuis mais je suis fatiguée.
Quand j’ai eu 60 ans, j’étais à Pôle emploi et je leur ai demandé si je pouvais partir plus tôt. Comme je travaille depuis longtemps, que je suis travailleuse handicapée, je pensais pouvoir partir à 62 ans à taux plein. mais quand j’ai demandé à la Carsat [Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail – ndlr], ils m’ont dit que ce n’était pas possible.
Apparemment, je ne rentrais pas dans les conditions pour avoir une retraite anticipée. Alors, à 66 ans, je travaille encore et la Carsat me dit que je dois attendre jusqu’à mes 67 ans pour avoir une retraite complète. »