Faut-il augmenter les salaires ? On a posé la question à deux économistes !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que l’inflation touche l’Europe et que la Nupes propose d’augmenter le Smic à 1 500 €, les économistes Gilbert Cette, de Neoma Business School, et Henri Sterduniak, des Economistes atterrés, ont livré leur point de vue à « Ouest-France ».

Faut-il augmenter les salaires ? Alors que l’inflation touche l’Europe et la France, la question revient dans le débat public à l’approche des élections législatives qui se tiennent les 12 et 19 juin.

Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School et président du groupe d’experts sur le Smic, et Henri Sterdyniak, économiste à Science Po et cofondateur des Economistes atterrés ont des avis opposés. Ils détaillent leurs réflexions pour Ouest-France.

Dans son programme, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) propose de faire passer le Smic à 1 500 €. Qu’en pensez-vous ?

Henri Sterdyniak : C’est une bonne idée. La crise du Covid a montré qu’il y avait des inégalités de revenus inacceptables, notamment chez ceux qu’on a appelés les « premiers de corvée ». C’est notamment le cas pour les métiers du soin comme les aides-soignantes mais aussi pour les ouvriers. Le Smic à 1 500 € permettrait de revaloriser ces professions.

Gilbert Cette : Le Smic a déjà plus augmenté que la quasi-totalité des salaires puisqu’il a progressé de 5,8 % sur les douze derniers mois en raison de l’inflation. Par ailleurs, une hausse du Smic pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour l’emploi.

Lesquelles ?

Gilbert Cette : Cela peut notamment affecter l’emploi pour les postes peu qualifiés. En 2019, l’Espagne a augmenté son salaire minimum de 22 % et on estime que cela a détruit entre 90 000 et 180 000 emplois.

Henri Sterdyniak : L’Allemagne et le Royaume-Uni ont fortement augmenté leur salaire minimum sans qu’on constate une augmentation du chômage. La demande peut légèrement diminuer mais on augmente le niveau de vie des salariés. Le salaire ce n’est pas simplement un coût, c’est aussi la reconnaissance du travail.

 

Inflation : avez-vous changé vos habitudes de consommation ?

 

Les salariés subissent l’inflation, ils n’en sont pas responsables.

L’augmentation des salaires doit-elle aller au-delà du Smic ?

Henri Sterdyniak : Augmenter le Smic va forcer certaines branches à renégocier la hiérarchie des salaires. Il faut augmenter les bas salaires et baisser les hauts salaires, en les limitant à dix fois le Smic.

Gilbert Cette : C’est très Français de penser que c’est à l’État d’agir sur la hausse des salaires. Si des entreprises ont des difficultés à trouver de la main-d’œuvre, c’est à elles et aux branches de prendre éventuellement la décision d’augmenter les rémunérations. Cette dimension de l’attractivité n’est pas du ressort des pouvoirs publics.

Justement, l’augmentation des salaires peut-elle contribuer à rendre plus attractives des filières qui ont des difficultés à recruter ?

Henri Sterdyniak : Oui, actuellement il y a un problème important d’embauche dans les métiers d’aides-soignants, d’aides à domicile ou encore chez les enseignants. Augmenter les salaires permettrait de revaloriser ces professions et d’attirer plus de candidats.

Gilbert Cette : Si on prend le cas des enseignants, c’est vrai qu’il y a un manque d’attractivité. Pendant des années, les gouvernements successifs ont modéré l’évolution de la masse salariale en jouant sur les salaires et non sur les effectifs. Maintenant, on ne peut pas se contenter de dire qu’il faut augmenter le salaire des enseignants. Il faut associer cela à une réorganisation globale.

Une hausse du Smic ne risque-t-elle pas de renforcer encore l’inflation ?

Gilbert Cette : Évidemment. Si vous êtes un chef d’entreprise et que le salaire de vos employés augmente, vous allez le reporter sur vos prix. C’est justement pour cette raison qu’en 1983, la gauche avait choisi d’interdire l’indexation des salaires sur l’inflation.

Henri Sterdyniak : L’inflation actuelle n’a rien à voir avec la hausse des salaires. Les salariés subissent l’inflation, ils n’en sont pas responsables.

Cela conduit à une aggravation de la dette que nous laisserons à nos enfants.

Mais qui doit payer cette inflation ?

Gilbert Cette : Nous avons le choix entre trois acteurs. Premièrement l’État, c’est-à-dire que cela se répercuterait sur la dette, et donc sur nos enfants, ou sur les impôts alors que nous sommes déjà le pays avancé qui taxe le plus. Deuxièmement, cela peut être les entreprises avec le risque qu’elles deviennent moins dynamiques pour rebondir. La troisième option, ce sont les ménages.

Henri Sterdyniak : Si on n’augmente pas les salaires, ce sont les ménages qui vont payer l’inflation. Mais on peut aussi refuser cette logique et récupérer l’argent en augmentant les impôts sur les plus riches.

À droite, plusieurs personnalités politiques proposent de baisser les cotisations sociales pour augmenter les salaires. Qu’en pensez-vous ?

Henri Sterdyniak : Toutes les mesures qui se traduisent par une baisse des cotisations sont extrêmement dangereuses parce que la contrepartie est que cela diminue les recettes de la sécurité sociale et que cela la fragilise. En ce sens, la prime Macron est un scandale puisqu’elle est défiscalisée. Cela brise notre logique selon lequel tous les salaires payent des cotisations et tous les revenus payent de l’impôt.

Gilbert Cette : Si on exonère les salaires de cotisations sociales, ça augmente les salaires nets mais ça fait moins de rentrées de contributions. Cela conduit à une aggravation de la dette que nous laisserons à nos enfants.

Comment jugez-vous la voie empruntée par Emmanuel Macron de s’appuyer sur la prime d’activité ?

Gilbert Cette : C’est ce que le groupe d’experts sur le Smic que je préside préconise depuis des années, car cela ne met pas en péril l’emploi des personnes les moins qualifiées. Pour un célibataire avec un salaire au niveau du Smic, la prime d’activité est de 240 € par mois.

Henri Sterdyniak : La prime d’activité est une béquille. Le salaire récompense le travail, c’est la reconnaissance de son utilité et un employé au Smic doit pouvoir en vivre. Les prestations sociales, elles, n’arrivent qu’en complément pour compenser des besoins supplémentaires.

Sources : https://www.ouest-france.fr/economie/faut-il-augmenter-les-salaires-on-a-pose-la-question-a-deux-economistes-95a1acc0-e708-11ec-a5fe-786c78cdd689

 



10/06/2022
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