Le contrat d’engagement jeune peut-il servir de modèle au RSA ?

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Lancé en mars 2022, le contrat d’engagement jeune a rempli son objectif quantitatif, mais présente toujours de nombreuses faiblesses, selon un rapport de l’Igas.

Satisfaisant mais peut mieux faire. Un an après son lancement, le contrat d’engagement jeune (CEJ) a trouvé son public. Ils sont plus de 300 000 à avoir aujourd’hui bénéficié de ce dispositif d’insertion, cochant l’objectif fixé par le Premier ministre de l’époque, Jean Castex.

C’est néanmoins un bilan en demi-teinte –  « loin d’être négatif » mais « contrasté » – que livre l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans un rapport diffusé le 26 avril dernier, soulignant plusieurs dysfonctionnements.

Mesure phare lancée par Emmanuel Macron pour accompagner les jeunes peu qualifiés et souvent hors des radars des institutions, le CEJ s’adresse aux 16-25 ans et aux moins de 30 ans en situation de handicap qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en études (Neet). D’une durée de six mois à un an (voire dix-huit mois dans certains cas), il s’inscrit dans la philosophie de la Garantie jeunes, lancée en 2013, mais se veut plus ambitieux.

En signant ce contrat d’engagement, les jeunes bénéficiaires se voient dans l’obligation de fournir 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires –  formations, immersions en entreprise, ateliers de recherche d’emploi – , sous l’égide d’un conseiller référent d’une mission locale ou de Pôle emploi. En contrepartie, ils bénéficient d’une allocation allant jusqu’à 528 euros par mois.

Avec 301 725 contrats conclus au 31 janvier 2023, l’Igas reconnaît que « la dynamique du dispositif est incontestable ». Toutefois, 70 % des jeunes signataires étaient en réalité déjà suivis par le service public de l’emploi. Un chiffre qui amène l’Inspection à s’interroger sur la capacité du dispositif à prendre en charge l’intégralité des 900 000 Neet.

Selon les auteurs du rapport, les « ambitions d’insertion professionnelle à court terme » du CEJ le rendent de fait « moins accessible » aux jeunes les plus en difficulté.

« Il y a des trous dans la raquette. Beaucoup de jeunes en rupture ne connaissent pas encore ce dispositif. Nous n’arrivons pas à les attraper », regrette Jeanne Péchon, vice-présidente de la commission insertion des jeunes du Conseil d’orientation des politiques jeunesse (COJ).

Faible signification des agrégats nationaux

Du côté du quota d’activités hebdomadaires obligatoires, l’Igas révèle que plus d’un tiers des jeunes n’atteignent pas le minimum de 15 heures, tandis que 20 % des bénéficiaires effectuent même moins de cinq heures d’activités.

Cependant, la mission pointe de grandes difficultés dans la définition des indicateurs du suivi du dispositif, soulignant la « très faible signification de ces agrégats nationaux du fait de la très grande majorité des pratiques locales (référentiels, priorités, analyses des situations) ».

Stéphane Valli, président de l’Union nationale des missions locales, appelle ainsi à davantage de « souplesse » sur le seuil de travail hebdomadaire.

« Nous sommes face à des jeunes qui éprouvent des difficultés psychologiques, sociales, ou de santé qui les empêchent de respecter cet engagement, mais aussi face à des territoires ruraux qui peinent à proposer des activités, ne serait-ce que parce qu’ils ont moins de partenaires. »

Le rapport de l’Igas pointe le peu de coopération entre Pôle emploi et les missions locales

L’évaluation des effets du CEJ en matière d’insertion professionnelle apparaît quant à elle prématurée, faute de recul temporel mais aussi, là-encore, en l’absence d’informations exploitables selon l’Igas.

Début mars, le gouvernement affirmait que 76 % des jeunes ayant signé un contrat en mars 2022 ont accédé à un emploi dans les neuf mois suivant leur entrée, 63 % ont trouvé un emploi d’un mois ou plus et 43 % un emploi durable (CDI ou CDD d’au moins six mois).

« La grande majorité des bénéficiaires restent finalement dans une grande précarité professionnelle », note Jeanne Péchon. Pour l’Igas, ces indicateurs restent à prendre avec précaution, d’autant plus qu’ils sont « incomplets » et qu’ils ne peuvent pas être comparés à une situation de référence, le CEJ n’étant pas passé par la case expérimentale. Or, « un taux d’emploi élevé n’est pas une garantie d’efficacité –  et encore moins d’efficience –  si les chances d’obtenir un emploi sont particulièrement élevées dans la période », affirme l’institution.

Concurrence entre les opérateurs

En dehors de ces données qui manquent de sens, le rapport de l’Igas pointe également le peu de coopération entre Pôle emploi et les missions locales, tous deux chargés de déployer le CEJ.

En effet, la décision politique de le mettre rapidement en place sur l’ensemble du territoire a exacerbé la concurrence entre les deux opérateurs. Chacun a décliné localement les objectifs fixés par le gouvernement, « selon des modalités indépendantes et non coordonnées » et, ce faisant, mettant à mal « le travail de coopération opéré depuis plusieurs années ».

Les bénéficiaires en ont directement fait les frais : le nombre de jeunes demandeurs d’emploi orientés vers les missions locales a chuté de 38 % en 2022.

« Avec le CEJ, on ne doit plus travailler ensemble [les missions locales et Pole Emploi], mais les uns contre les autres. C’est l’Etat qui nous impose de travailler comme ça, ce qui est dommage », témoigne Wendy Lafaye, présidente de l’Association régionale des missions locales pour la région Auvergne-Rhône Alpes.

Bon nombre de conseillers en missions locales regrettent également leur nouvelle mission de contrôle des 15 à 20 heures d’activités par semaine. « La lourdeur et l’inopérationnalité de cette obligation [est] impossible à prescrire autant qu’à suivre », dénonce la CGT des missions locales dans un communiqué.

Selon elle, cette contrainte fait peser une « pression » sur les jeunes, « dont certains refusent le CEJ à l’énoncé des obligations qui vont leur incomber ».

En effet, en signant ce contrat, les bénéficiaires s’exposent à des sanctions potentielles en cas de non-respect de leurs engagements. Au premier manquement, leur allocation pourra être réduite d’un quart, purement et simplement supprimée durant un mois au second manquement, et le contrat d’engagement rompu au troisième manquement.

« Mais contrairement à la Garantie jeunes, où une commission arbitrait les choses, dans le cadre du CEJ, finalement c’est aux conseillers que la charge de la sanction revient », regrette la CGT des missions locales.

Pour Wendy Lafaye, ce système de sanctions n’est « pas du tout adapté aux jeunes », « ce n’est pas le métier que l’on a en mission locale ».

Un manque de moyens financiers

« Malgré ses réussites en termes de qualité d’accompagnement, le CEJ ne permet pas de répondre à l’ensemble de la précarité des jeunes et n’est pas un dispositif d’insertion professionnelle absolue et réussie », indique finalement le président de la commission de l’insertion des jeunes au COJ, Antoine Dulin.

Pourtant, c’est bien sur ce dispositif qu’est calquée la réforme du RSA voulue par Emmanuel Macron. Cette nouvelle version de la prestation dont le versement sera à terme conditionné à une quinzaine d’heures d’activités par semaine est déjà expérimentée dans dix-huit départements.

« Le CEJ ne permet pas de répondre à l’ensemble de la précarité des jeunes » – Antoine Dulin

« Améliorer l’accompagnement du RSA sur le modèle du CEJ n’est possible que si les moyens financiers suivent. C’est de dix milliards d’euros dont on aurait besoin pour mettre cela en place, et pas deux milliards, comme semble aujourd’hui le prévoir le gouvernement », juge Antoine Dulin, rappelant que le CEJ coûte plus de 2 000 euros par bénéficiaire et par an, hors allocation.

Pour Tom Chevalier, chercheur au laboratoire Arènes du CNRS, spécialiste des politiques publiques, cette réforme pourrait ainsi être « contre-productive », enfermant les bénéficiaires dans des emplois de mauvaise qualité, sans leur permettre de sortir de la pauvreté. « Réformer dans le sens du CEJ ne suffit pas, il est indispensable de garder un filet de sécurité qui soit inconditionnel », plaide-t-il.

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/contrat-dengagement-jeune-servir-de-modele-rsa/00106993

 



26/05/2023
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