Retraites : le gouvernement élude l’impact de la réforme sur les « ni en emploi ni en retraite »

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Plusieurs administrations ont estimé l’impact d’un report de l’âge à 64 ans sur le nombre de chômeurs et de bénéficiaires de minima sociaux. Des chiffres absents de l’étude d’impact du gouvernement, déplore Michaël Zemmour.

 

Dans une séance aux accents prémonitoires, le 27 janvier 2022, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a réuni différentes administrations pour leur demander d’estimer les différents effets, y compris budgétaires, d’un décalage de l’âge minimal de départ sur différents paramètres. Cette séance s’est révélée très riche et ses résultats auraient pu nourrir utilement l’étude d’impact du gouvernement. Malheureusement, celui-ci a fait le choix de les ignorer pour une large part.

On peut lire dans les documents liés à cette séance que la Drees (page 2) estime qu’un décalage de deux ans de l’âge minimal de la retraite se traduirait par un surcroît de 30 000 allocataires du RSA (revenu de solidarité active) et de 30 000 allocataires de l’ASS (l’allocation spécifique de solidarité que perçoivent les chômeurs de longue durée non indemnisés par l’assurance chômage, sous certaines conditions).

D’autres estimations dans le même document concernent la hausse du nombre de personnes en invalidité (de l’ordre de 160 000), ou bénéficiaires de l’AAH (allocation aux adultes handicapés, plus de 40 000). Ces deux derniers chiffres ne doivent pas être retenus puisque le gouvernement a choisi – sans doute d’ailleurs à l’appui de ces travaux – de maintenir à 62 ans le départ en retraite des personnes en invalidité ou allocataires de l’AAH (je ne sais pas si la réforme prévoit des restrictions dans ce second cas).

La Dares estime, de son côté, le surcroît de personnes au chômage indemnisé à 84 000 en cas d’un décalage de la retraite de deux ans.

Ainsi, si on se restreint aux seuls effets sur les personnes au chômage indemnisées, à l’ASS ou au RSA, 144 000 personnes supplémentaires seraient maintenues en précarité du fait du décalage de la retraite. Pour avoir l’ensemble de l’image, il faudrait y ajouter les personnes n’ayant aucune prestation sociale (par exemple parce que le RSA est sous conditions de ressources ; si votre conjoint a des revenus, vous ne pouvez être ni indemnisé par le chômage, ni par l’ASS, ni par le RSA), dont je n’ai pas d’estimation précise.

Ces estimations auraient mérité d’être un peu actualisées. D’une part, parce qu’elles datent d’avant la réforme de l’assurance chômage qui raccourcit la durée d’indemnisation. Il est probable qu’après réforme, il y aura un peu moins de personnes indemnisées par l’assurance chômage et un peu plus aux minima sociaux. D’autre part, parce que le chômage a baissé au cours des deux dernières années, y compris le chômage des seniors (même si c’est bien la catégorie où le chômage de longue durée est le plus élevé et le plus fréquent). Malheureusement, dans l’étude d’impact qui accompagne la réforme, le gouvernement n’a intégré ni ces estimations de janvier 2022, ni des estimations actualisées… et ignore tout simplement le sujet.

Sas de précarité

Mais si on s’en tient aux ordres de grandeur, on peut retenir que la réforme, une fois montée en charge, va maintenir entre 150 000 et 200 000 personnes supplémentaires dans le sas de précarité entre l’emploi et la retraite, alors que la hausse de l’emploi des seniors est estimée à environ 300 000 par (étude d’impact page 93).

Pourquoi peut-on parler d’un « sas de précarité » entre l’emploi et la retraite ? Pour la plupart des personnes, le passage à la retraite est synonyme d’une baisse modérée du niveau de vie. Mais pour les personnes les plus modestes, particulièrement hors de l’emploi avant la retraite, le passage à la retraite protège socialement, il est synonyme d’une légère amélioration du niveau de vie et de l’entrée dans un statut durable (figure ci-dessous, d’après Abbas 2020). Par ailleurs, la Drees relevait en 2020 que le taux de pauvreté des personnes « ni en emploi ni en retraite » de 53 à 69 ans était de 32 % (D’Isanto, Hananel et Musiedlak 2020).

Là aussi, une partie de ces personnes, reconnues comme invalides ou en situation de handicap, subiront moins les effets néfastes de la réforme, mais toutes les personnes précaires au-delà de 55 ans ne sont pas préservées loin de là.

Ajoutons que ces estimations ne couvrent pas, à elles seules, la question du chômage induite par la réforme des retraites. De fait, elles se concentrent sur les effets sur les seniors et ne disent rien de l’effet global sur le chômage. Concernant ce dernier point, il n’existe pas d’étude rétrospective sur la réforme de 2010 à ma connaissance.

D’un côté, une étude sur données françaises n’identifie pas de lien direct entre âge de la retraite et chômage des jeunes dans les années 1970-2000. D’un autre côté, les modèles macroéconomiques (OFCE et Mésange) envisagent que le maintien deux ans de plus sur le marché du travail des seniors génère une augmentation du chômage en global ainsi qu’une pression sur les salaires des actifs (voir la séance du COR citée). Mais c’est un autre sujet.

 

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/retraites-gouvernement-elude-limpact-de-reforme-em/00106108



02/03/2023
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